mercredi, août 31, 2005

J'ai une grippe d'homme!!

J'ai passé une très mauvaise nuit assaillie par un malaise soudain et violent: la grippe d'homme. Je me suis trainé toute la journée au bureau malgré le mal pernicieux qui m'habite et, ce soir, réconforté par ma petite soupe Lipton au poulet et aux nouilles; j'écris un mot dans mon blogue sur cet état mal compris...

En effet, à l'heure de la grippe du poulet, du SRAS et de la pneumonie atypique, du Virus du Nil, de la fièvre aphteuse et de la vache folle, les virus sont à la mode. Chaque mois apporte une nouvelle cuvée bactériologique. Le moindre petit atchoum anodin devient maintenant source d’inquiétude pour tout le voisinage. Le masque anti-grippe deviendra fortement suggéré j'imagine...

Mais avant de donner trop d’importance à toutes ces variantes modernes, ces grippes du jour, il y en a une qui a fait ses preuves, qui mérite le respect et les grands honneurs du tableau viral : La grippe d’homme. La vraie. Celle qui nous scie les jambes, nous courbe le dos et nous envoie sur le carreau au moins une fois par année. Mais svp pour une fois, les filles, ne riez pas. Le sujet est très sérieux. Vous croyez que j'exagère, que j'amplifie mes symptômes et que je cherche que votre pitié? Faux.

Ce qui se passe dans notre corps durant cette terrible semaine est pire que ce vous pensez. Nous sommes privés de notre pouvoir, vidés de nos fonctions vitales. Nous perdons le contrôle de notre corps, nos glandes s’affolent et toutes les pièces de la machine peinent en même temps : nez, sinus, poumons, gorge, amygdales, yeux, cordes vocales…Endurer? Garder notre prestance? Rien à faire, les neurones qui contrôlent notre dignité de mâle sont elles aussi engluées dans les sécrétions. Se traîner du salon à la pharmacie en passant par notre lit représente notre chemin de croix. Faire pitié (c'est le seul moment où l'on peut se le permettre!!) apparaît comme un droit acquis. Même penser devient impensable.

Et c’est à peu près au moment où toute notre résistance nous abandonne que vous, mesdames, arrivez avec votre délicatesse ironique nous glisser, un sourire narquois aux lèvres : « Ooooh, pauv’ toi, une grosse grippe d’homme?… » Les pires sont les collègues du bureau insensibles à l'effort demandé pour venir faire notre travail quotidien...

Pendant 51 semaines, jamais on ne se plaint jamais d’avoir mal....mais quand arrive la grippe et ses affreux symptômes, c’est la libération des émotions! Tous les maux accumulés durant l’année ressortent et s’approprient nos cinq sens. De la compassion svp!!

Et c’est tout à fait normal que ce soit ainsi. La grippe d’homme, ressemble à la mue du serpent. Dans cette période qui dure environ une semaine, le serpent, habituellement fier et terrible, n’est plus l’ombre de lui-même. Il devient complètement vulnérable, voire même aveugle, et ralentit de beaucoup ses activités. Pourtant, ce renouvellement est essentiel à son évolution. Même chose pour nous. On descend bien bas, mais c’est pour mieux repartir. Lorsque le virus lâche son emprise sur nous, on respire, on retrouve notre vraie voix et soudainement, on a le goût de danser dans la rue comme un client de Viagra. Nous voilà un homme neuf!

OK! Je m'en vais prendre un grand verre d'eau et m'emmitoufler comme il faut dans mon lit...soulagé de m'être exprimé...mais, je le sens, ...toujours incompris...

ancienetmoderne@hotmail.com

mardi, août 23, 2005

La bataille des Thermopyles à Montréal

Après des mois de disette, deux grosses productions hollywoodiennes s'en viendraient à Montréal avec leurs vedettes et leurs millions de dollars de retombées économiques.
Selon The Gazette d'aujourd'hui, l'une est dans la poche. Pour l'autre, les paris sont encore ouverts.

En effet, c'est à Montréal que sera filmé à partir d'octobre prochain le film 300, adaptation d'une bande dessinée de Frank Miller, qui était aussi derrière Sin City. Ce film racontera l'épopée historique (au coût de 70 millions $ ) des 300 combattants d'élite de Spartes qui avaient retardé l'invasion perse, en Grèce, en 480 avant Jésus Christ. La bataille des Thermopyles, comme on l'appelle, est l'une des plus célèbres de l'Antiquité.

Je résume cette célèbre bataille...

-481 av JC: Il apparait évident que les Perses tenteront bientôt d'envahir la Grèce...les Grecs choisissent alors en août, tandis que les Perses envahissent la Piérie, une position défensive très forte aux Thermopyles qui commande l'accès à la Béotie et à la Grèce centrale. Quant à la flotte, elle s'installe au nord de l'Eubée en un lieu nommé l'Artémision afin d'empêcher la flotte perse de contourner cette position.

En effet les Perses, pour garder le contact avec leur flotte, doivent emprunter la seule route importante qui passe par les Thermopyles (les « Portes Chaudes », à cause des sources thermales qui s'y trouvent). Là, entre le golfe Maliaque et la montagne, l'étroite chaussée passe dans un défilé dont certains passages n'excèdent pas 10 mètres de largeur et qui plus est barré par les vestiges d'un mur construit en zigzag. Enfin, les marais sont nombreux et forment un obstacle supplémentaire.

Entre les 7000 à 10 000 hommes environ dont dispose Léonidas et la flotte d'Eurybiade (avec Thémistocle à la tête du contingent des navires athéniens, de loin le plus nombreux) les liaisons sont constantes.

La bataille

Dans un premier temps, sur terre, les troupes de Léonidas tiennent fermement leur position et repoussent les Perses, infligeant de grandes pertes, y compris aux fameux Immortels, les troupes d'élites de Xerxès. Mais Léonidas est trahi par un certain Éphialtès (Sparte), fils d'Eurydémos, un citoyen de Malia, qui livre aux Perses le moyen de contourner l'armée grecque, par le sentier d'Anopée. Léonidas décide alors de se sacrifier avec les 300 hoplites Spartiates, ainsi que 700 soldats des cités de Thèbes et de Thespies, pour laisser aux Grecs le temps d'organiser leur défense et à l'armée de se retirer en bon ordre. Les Grecs résistent héroïquement autour du roi spartiate et sont tous massacrés sur ordre de Xerxès. Cette bataille devint l'emblème de la résistance grecque à l'envahisseur et de l'esprit de sacrifice des Spartiates. Au sommet du Kolonós, théâtre de l'ultime résistance spartiate, sur lequel fut érigé un mausolée, une inscription du poète Simonide de Céos (556, 467), commémore cette action : « Passant, va dire à Sparte qu'ici ses fils sont morts pour obéir à ses lois ».

Et dire que cette bataille va être filmée à Montréal...

vendredi, août 19, 2005

Journée de congé: Alexandre le Grand et Google...

Vendredi 19 août. Mes plans ont changé plusieurs fois depuis une semaine pour cette rare journée de congé et je me suis retrouvé sans projet précis en me levant ce matin. J'ai flâné un peu en matinée et par la suite je suis allé à la Grande Bibliothèque où je me suis retrouvé avec 4 livres sur Alexandre le Grand que j'ai feuilletés cet après-midi. Étonnant le culte d'Alexandre le Grand autant durant l'antiquité qu'au XIXe s. et dans la première moitié du XXe s. Les historiens et les philologues allemands ont fait une montagne d'études sur le sujet.

Cette lecture alexandrine me rappella mon voyage en Grèce de 2001. J'ai pu visiter le site de Vergina (en Macédoine-province au nord de la Grèce) où étaient enterrés les rois de Macédoine. On y trouva en 1977 une tombe inviolée que l'on s'accorde à considérer comme la tombe de Philippe II (le père d'Alexandre le Grand). Ce fût une visite qui m'avait émerveillée et émue...

Je me suis évadé de la nostalgie de ce voyage en écoutant un peu le golf à la TV puis je me suis mis à lire tout ce que j'ai trouvé sur le Net sur la question de la digitalisation des bibliothèques....c'est un sujet qui me fascine et j'ai quelques heures pour me faire une tête là-dessus. Youppi!! Je vous résume ce que j'en ai compris..

La bataille du livre sur Internet a donc commencé. Premier round: Décembre 2004- Lancement de Google Print , dont le but est de numériser et de mettre en ligne le maximum d'ouvrages détenus dans les bibliothèques partenaires du projet (essentiellement américains). Deuxième round: Avril 2005- à l'initiative de Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), un projet européen de numérisation des livres, alternatif à Google Print commence à prendre forme…Troisième round: Cette semaine (le 16 août) Google prend une pause dans sa démarche devant la méfiance de la France (et des européens) et de plusieurs éditeurs américains.

Rappellons le projet Google:

1) L'objectif général ? Organiser l'information mondiale en mettant sur la Toile le maximum de textes édités, sans hiérarchie ni classement particulier. Comment ? En proposant aux bibliothèques (Google Print Library Project) ainsi qu'aux éditeurs (Google Print Publisher Program) de mettre en ligne leurs ouvrages papiers, intégralement ou partiellement, si ces derniers restent sous copyright.

2) Quelles bibliothèques ? Quatre d'entre elles ont jusqu'à présent adhéré au projet « Google Print » : les bibliothèques des universités américaines d'Harvard, du Michigan et de Stanford, la New York Public Library ainsi que la Bodleian Library qui est rattachée à l'université d'Oxford (Grande-Bretagne). Compte tenu des fonds des quatre bibliothèques, 15 millions de livres pourraient être numérisés, soit environ 4,5 milliards de pages Web, d'ici six ans. Cela représenterait plus de 2 millions de pages à numériser chaque jour ! Mais seulement 15 % des quelque 100 millions d'ouvrages publiés depuis l'invention de l'imprimerie (1455). Depuis janvier 2005, Google Print numériserait en moyenne 50 000 pages/jour, soit 40 fois moins que nécessaire…

3) Sous quelles conditions ? Les bibliothèques disposent d'un droit de veto sur la numérisation de certains ouvrages, et la possibilité offerte par Google de disposer de deux versions numériques : l'une pour le Web, accessible via Google Print, l'autre disponible pour le site de la bibliothèque !

4) Quel budget pour le « Google Print » ? Le coût du projet de numérisation est estimé entre 150 à 200 millions de dollars (soit environ 10 dollars par livre). Google n'a toutefois pas confirmé cette fourchette de coûts.

5) et du côté des éditeurs ? Ces derniers donnent au préalable leur accord sur la mise en ligne de leur ouvrage sous copyright (après 1923, selon la loi américaine). Après quoi, Google Print n'affiche pour l'internaute qu'un nombre limité de pages grâce à un système de cookies. Si aucun accord n'est obtenu avec l'éditeur, Google s'appuie sur la notion américaine de « Fair use » afin de proposer un « petit extrait » à l'internaute. Toujours gratuitement.

Donc, d'un côté les moteurs de recherche, qui derrière leur désignation à connotation technique, constituent un véritable “nouveau média”; les entreprises qui gèrent ce point de passage obligé des internautes sont de grandes structures capitalistiques, qui doivent en permanence élargir les services rendus aux utilisateurs ; accentuer leur présence boursière pour lever des capitaux permettant l’amélioration technique permanente ; financer les recherches par la publicité, en offrant aux annonceurs de nouvelles opportunités.

De l’autre, des bibliothèques numériques qui visent au contraire “à mettre en place des “collections” très catégorisées (les métadonnées de catalogage y occupent une place centrale) en offrant des accès (plus ou moins réservés en fonction des stratégies) à des ‘photocopies numériques’ des documents existants (écrit, image), ou à des reformatages utilisables sur le web des documents analogiques (son, vidéo).

Cette initiative de Google aura eu quand même du bon malgré les ratés de cette semaine. Sans avoir de boules de cristal, j'ai l'impression qu'un mode mixte va vraisemblablement émerger. Et alors nous aurons un phénomène de coopération entre les “bibliothèques numériques” qui offriront des accès limités et “moteurs de recherche” qui lanceront leurs robots pour explorer les rayons des bibliothèques numériques et intégrer leur contenu dans le flux médiatique qu’ils mettent en place... Dès qu’un document existe sous forme numérique, il va circuler, et finalement être retrouver et consulté suivant de multiples chemins d’accès. il va ête intégré dans de nouveaux documents (études, documents pédagogiques, autres créations, citations, ré-édition,…) et servir dans la constitution de nouveaux réseaux.

Qu'en penserait Alexandre le Grand? La bataille de l'empire n'est plus sur les champs de bataille mais bien au niveau de l'information et les plus agressifs et intelligents seront les vainqueurs...comme le fût Alexandre le Grand...mais je rappelle une des leçons de la vie tumultueuse du macédonien...N'oublie-t-on pas qu'Alexandre est mort à 33 ans d'épuisement après avoir conquis un territoire incroyablement nouveau...comme quoi même les plus grands génies peuvent être dépassé par l'ampleur de la tâche...

samedi, août 13, 2005

L'archéologie moderne...de ma chambre

Bonjour,

Est-ce que vous connaissez la "nouvelle" archéologie contemporaine? Elle consiste à analyser des scènes de la vie quotidienne comme si nous étions des grecs anciens...tout cela pour analyser l'homme occidental d'aujourd'hui à partir des objets de son quotidien. Les analyses du contenu de nos poubelles par des archéologues sont célèbres dans ce milieu. J'ai eu l'idée de faire la même chose en dressant une liste des livres qui sont sur ma table de chevet et sur le plancher de ma chambre actuellement. Voici cette liste en ordre purement aléatoire en précisant où j'en suis rendu dans ma lecture:

- Dante, Oeuvres complètes (lues aux 2/3)
- Yann Martel ,Life of Pi (lu à la moitié)
- L'Égypte, Guide bleu
- Jean-Pierre Vernant, L'Univers, les dieux, les hommes (lu il y a quelques années, en relecture)
- Thierry Hentsch, Raconter et Mourir. Aux sources narrratives de l'imaginaire occidental (toujours sur ma table de chevet--voir mon blogue)
- Jean-Marc Piotte, Les grands penseurs du monde occidental (un livre de référence)
- Jacqueline de Romily, La Grèce Antique. Les plus beaux textes d'Homère à Origène (J'en ai lu plusieurs extraits)
- Hérodote-Thucydide, oeuvres complètes, (J'ai lu Hérodote au complet, je me suis rendu à la moitié de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide)
- Jean Tullard, Napoléon (Biographie que je n'ai pas encore commencée)
- Pascal Quignard, Les Ombres errantes (lu et relu..)
- Amin Maalouf, Léon L'Africain (lu)
- Jean Grondin, Du sens de la vie (lu- voir mon blogue)
- J.C. Somoza, La caverne des idées (roman lu)
- Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe-Tome 3 (après avoir lu les deux premiers tomes--des grosses briques--mon intérêt s'émousse...)
- Gerald Messadié, Madame Socrate (lu)
- Georges Bordonne, Clovis dans la série "les Rois qui ont fait la France" (lu)
- Jacqueline de Romilly, Précis de littérature grecque (je le consulte de temps en temps)
- Lauwrence Durrell, Le Quatuor d'Alexandrie (je n'ai pas dépassé la centième page...)
- Edna O'brien, Biographie de James Joyce (pas commencée)
- R.W.B. Lewis, Biographie de Dante (lue)
- Jean Irigoin, Le livre grec des origines à la renaissance (lu)
- Pierre Lepape, Le pays de la littérature (à lire)
- E.H. Gombrich, Histoire de l'art (gros livre de référence que je feuillette de temps en temps)
- Didier van Cauwelaert, L'Évangile de Jimmy (lu)
- Collette Godin, Montréal, la Ville aux cents clochers (lu)
- Jean Irigoin, Tradition et critique des textes grecs (lu)
- Fred Pellerin, Dans mon village, il y a belle lurette (lu en parti)
- Pierre Boncenne et Bernard Pivot, La bibliothèque Idéale (outil de référence que je ne regarde presque jamais)
- René Huyghe, Delacroix ou le combat solitaire (à lire)
- Platon, Alcibiade (lu)
- Claude Mossé et Annie Schnapp-Gourbeillon, Précis d'histoire grecque, Du début du deuxième millénaire à la bataille d'Actium (une de mes lectures actuelles)
- Mauruce Druon, Les Rois Maudits (une de mes lectures actuelles)
- Étienne Charpentier, Pour lire L'ancien testament (lu)
- Chefs d'oeuvres du Musée du Caire (lu)
- Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo (lu)
- Andréï Makine, La femme qui attendait (une de mes lecture actuelle)
- Guide de poche des auteurs grecs et latins (livre de référence)
- Guide du "Metropolitain Museum of Art", un achat de mon voyage à NY-- la sem. dernière
- Yves Beauchemin, Charles le téméraire (une de mes lectures actuelles)
- Umberto Eco, La mystérieuse flamme de la reine Ioana (je viens juste de le terminer)
- Irad Malkin, La méditerranée spartiate (en lecture rapide, pas très intéressant )
- Collection Autrement, Rome Ier s. ap. J.C. (une de mes lectures actuelles)
- Jean-Paul Kauffmann, La lutte avec l'ange (lu à 2 reprises-voir mon blogue)
- Saint-Augustin, Confessions (lues)
- Rita Monaldi et Francesco Sorti, Imprimatur (lecture terminée il y a un mois environ)
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Voilà en frac, les livres qui se retrouvent à la gauche et à la droite de mon lit...

mardi, août 09, 2005

La mort d'un grand intellectuel et humaniste...

Le philosophe Raymond Klibansky décède à Montréal à 99 ans


J'ai entendu parlé du professeur Klibanski pour la première fois il y a quelques années seulement grâce à George Leroux qui est professeur d'histoire à l'UQAM. VRAIMENT un être remarquable qui a véçu réellement les passions intellectuelles du siècle...c'est pourquoi je me permets de reproduire l'article d'aujourd'hui du Devoir

Comme vous le voyez , mes derniers posts portent sur Thierry Hentsch et sur Raymond Klibanski... cela indique bien qui sont mes idoles...

L'ancien et le moderne

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Raymond Klibansky dans le documentaire biographique intitulé De la philosophie à la vie, primé en 2002 au Festival international du film sur l’art. La volonté de suivre à la trace des notions et des concepts sur des milliers d’années, dans plusieurs aires culturelles, l’aura occupé toute sa vie.

Formé dans l'effervescence culturelle de l'Allemagne du premier tiers du XXe siècle, forcé à l'exil par la barbarie nazie, colonel de l'armée britannique durant la Seconde Guerre mondiale, philosophe et historien de la culture de renommée planétaire, professeur émérite des universités McGill, Oxford et Heidelberg, coauteur de Saturne ou la Mélancolie, un livre légendaire sur le sublime et complexe sujet du «bonheur d'être triste», Raymond Klibansky est mort vendredi dernier. La courte notice nécrologique publiée hier dans Le Devoir annonce qu'il a succombé «dans sa centième année, paisiblement, à son domicile de Montréal». Il serait devenu centenaire le 15 octobre prochain.

Sa longue vie très bien remplie concentre les misères et les bonheurs d'un siècle marqué par d'admirables découvertes scientifiques et artistiques, mais aussi par d'abyssales plongées au coeur du maléfique. Lui-même connaît le statut d'exilé dès le berceau, à Paris, son lieu de naissance, où son père allemand s'occupe depuis quelques années d'une grande entreprise d'import-export en vins. En 1914, dès le déclenchement du premier conflit mondial, sa famille est obligée de tout abandonner pour rentrer à Francfort. Après quelques années passées au très rigide et trop discipliné Goethe-Gymnasium, où il se lie d'amitié avec Klaus Mann, le fils de l'écrivain Thomas Mann, le jeune Klibansky -- qui a hérité du prénom du défenseur de la laïcité et futur président de la République française Raymond Poincaré -- persuade ses parents de l'inscrire à la Odenwaldschule, une école mixte et progressiste, une utopie scolaire réalisée, sans surveillants, sans notes, où les élèves et les professeurs décident ensemble, lors d'assemblées générales, des règles de conduite communes. La Odenwaldschule a formé d'autres gens célèbres, dont Daniel Cohn-Bendit, le défenseur de «l'imagination au pouvoir» de Mai 68.

Comprendre ce qu'est l'homme

Il obtint son «Abitur», l'exigeant diplôme d'études secondaires allemand, avec six mois d'avance et rentre à la fameuse Université de Heidelberg à 17 ans, en 1923. Dans cette ville, il fréquente la maison de Max Weber, en tant qu'ami intime de ses neveux, ses fils adoptifs. Le grand sociologue mort en 1920 a laissé en plan les épreuves de Économie et Société, sa somme théorique. Pour son premier travail intellectuel d'envergure, Raymond Klibansky va donc consacrer ses soirées à aider la veuve Weber à corriger les épreuves du maître ouvrage.
Il suit 35 heures de cours par semaine, dans toutes les disciplines. «Mon ambition était de comprendre ce qu'est l'homme, dira-t-il au Devoir dans une entrevue publiée en 1992. Et pour y arriver il fallait commencer par le commencement, par la pensée grecque, par la langue grecque, celle des philosophes, mais aussi celle des poètes, sans négliger l'expression visible de l'esprit dans l'art.» Il termine son doctorat à 23 ans, puis devient «Privatdozent», professeur de cours libres, en 1931, deux ans avant la catastrophe de 1933. Il se rappellera ensuite avec tristesse du silence de la très grande majorité des enseignants, qui avaient pourtant passé les années précédentes à discuter savamment de la nécessité d'une conduite personnelle courageuse, de l'autonomie de l'individu et de sa liberté. Pour lui, la mémoire de grands esprits qui avaient capitulé devant le régime nazi était «entachée à jamais».

Le cas le plus célèbre demeure évidemment celui de Martin Heidegger, qui fait maintenant les frais d'un juste déboulonnage en règle pour son nazisme militant. L'auteur d'Être et Temps enseigne alors à Fribourg-en-Brisgau et Klibansky ne le rencontre donc pas souvent. Il est tout de même présent à la fameuse conférence Qu'est-ce que la métaphysique ?, donnée en 1929. «Il y avait là, devant nous, un mélange d'intensité intellectuelle et de mensonges, se rappelait-il 60 ans plus tard. Il déformait la vérité historique tout en citant Platon. Tous les moyens étaient bons pour lui.» Klibansky se rapproche plutôt du philosophe Karl Jaspers, qui ne reniera jamais ses idéaux humanistes et démocratiques. Jaspers le propose pour un stage à Kiel, auprès du légendaire Ferdinand Tönnies, auteur de Communauté et Société (1887), ami de Friedrich Engels, cosignataire du Manifeste du Parti communiste, paru il y a 150 ans. «Tönnies m'a beaucoup parlé de ses rencontres avec Engels», confie-t-il à son ancien élève, le professeur québécois Georges Leroux, dans leur livre d'entretiens biographiques Le Philosophe et la Mémoire des siècles, paru en 1998, aux Belles Lettres, à Paris.


Cette volonté de suivre à la trace des notions et des concepts sur des milliers d'années, dans plusieurs aires culturelles, va l'occuper toute sa vie. Raymond Klibansky participe au renouvellement de la compréhension des rapports de la culture occidentale à ses sources grecques, filtrées par les penseurs juifs, arabes et chrétiens du Moyen Âge et de la Renaissance. Dans le lot immense et disparate de ses oeuvres complètes, occupant plusieurs rayonnages, on peut notamment distinguer les éditions critiques d'oeuvres majeures de l'histoire de la philosophie. Par exemple le monumental Corpus Platonicium Medii Aevi, une édition des versions médiévales latines et arabes des textes platoniciens. L'édition critique du Parménide latin, le dialogue de Platon accompagné du Commentaire de Proclus, qu'il a lui-même découvert dans la bibliothèque du cardinal. Et puis les Medieval and Renaissance Studies, dont six volumes ont été publiés de 1941 à 1968. Reconnaître la raison et la dépasser Tout cela pour se comprendre, maintenant. «Il y a dans la tradition allemande une tendance à reconnaître la raison et à vouloir en même temps la dépasser. Ce qui est très différent du cartésianisme français et de l'empirisme britannique. Et pour comprendre cette voie, il faut remonter aux sources médiévales et, à travers elles, comprendre la transformation de la pensée de Platon.»

Dès 1927, il propose à l'académie de Heidelberg de réaliser des éditions critiques des oeuvres latines de Nicolas de Cues puis de maître Eckhart, dont les nazis veulent faire un ancêtre idéologue. À compter de 1933, le «Privatdozent» est d'autant plus menacé qu'il nargue le nouveau pouvoir qui exige des détails sur ses «origines raciales», sur la confession de ses parents et grands-parents. «Moi, je n'ai pas répondu au questionnaire, mais j'ai écrit une lettre qui a été retrouvée récemment. Je déclarais que ce questionnaire était incompatible avec les exigences de la pensée scientifique [...] et que, d'ailleurs, il était impossible de prétendre établir une origine raciale à partir de la religion de deux générations seulement. J'ajoutais que, pour autant que je puisse le savoir, tous mes ancêtres, tant dans la lignée paternelle que maternelle, avaient pratiqué la religion juive.» Raymond Klibansky va quitter l'Allemagne quelques jours plus tard, après avoir convaincu les Warburg de prendre eux aussi le chemin de l'exil avec leurs précieux livres -- leur institut est toujours à Londres. Il a en poche de quoi payer le taxi et il lit mais ne parle pas l'anglais. Il corrige la lacune en quelques mois, devient professeur au prestigieux Wolfson College d'Oxford. La philo mène à tout.


Pendant la Seconde Guerre mondiale, le philosophe prend du service au sein du Political Warfare Executive, en Grande-Bretagne. Il s'élève jusqu'au rang de colonel de l'armée britannique. Non pas malgré sa formation académique, mais précisément en raison de ses connaissances savantes. Ainsi, quand des militaires américains lui demandent des détails sur le temps des récoltes en Toscane, le service du colonel-philosophe trouve la réponse dans Virgile. L'herméneute décrypte aussi les signes de fabrication des fusées VI, V2 et V3. Par contre, lorsque les Alliés déclenchent la campagne de Sicile, il ne le consultent pas et le regrettent amèrement par la suite, comme il le raconte lui-même dans ses souvenirs. «Quand j'ai appris qu'on s'apprêtait à franchir le détroit de Messine et à remonter vers le nord, je ne l'ai pas cru, confie-t-il dans le livre. Depuis Hannibal jusqu'à Garibaldi en passant par Byzance et les Goths, l'histoire a montré que, pour conquérir l'Italie, il faut l'attaquer par le Nord ou par le milieu. [...] Les plans avaient été faits au quartier général d'Eisenhower, à Alger, et approuvés à Washington. Mais j'étais "Political Intelligence Officer" et mes opinions n'avaient aucun poids. L'erreur a été payée chèrement à chaque traversée de fleuve et à la bataille du mont Cassin. Tant de soldats ont été tués.»

En 1946, le colonel redevient professeur, au collège Wolfson bien sûr, mais aussi à McGill et à l'Université de Montréal. Ce nouvel exil volontaire aura finalement duré plus d'un demi-siècle «Je suis profondément européen de formation, de tradition, confiait-il encore à Georges Leroux. Je retourne en Allemagne, à Heidelberg surtout, où l'université m'a fait sénateur d'honneur. Je suis de nouveau souvent à Oxford. Cependant, quand je retourne à Montréal, je rentre chez moi. Peut-être une certaine synthèse entre l'ancien et le nouveau monde s'est-elle opérée en moi ?» Ici, le professeur forme des générations d'étudiants, dont plusieurs devenus célèbres. Comme le Costaricien Oduber Quiros, «tout à fait remarquable», qui participe à un coup d'État en 1949 et rédige un projet de Constitution centrée sur les droits de l'homme. Travailleur infatigable, le nonagénaire codirige un collectif sur les recherches philosophiques au Canada français. Les prix annuels de la Fédération canadienne des études humaines portent son nom. Surtout, pendant toute cette longue vie aussi exemplaire qu'exceptionnelle, à Montréal comme ailleurs, le professeur multiplie les initiatives pour la paix, la liberté et la tolérance, soit au sein de l'Institut international de philosophie, soit en publiant des classiques de ces idées généreuses, dont la fameuse Lettre sur la tolérance, de Locke, parue en plus de 20 langues. Car l'idée de tolérance constitue finalement la clé de voûte de l'existence et de l'oeuvre de Raymond Klibansky, homme d'études autant qu'homme action, philosophe engagé contre les tortionnaires des choses, des mots et des êtres. «Ce n'est pas parce que, souvent, le résultat des efforts est minime, ou même non existant, qu'il ne faut pas les faire, aimait-il répéter. L'effort personnel, l'effort éclairé par une conviction, fait une différence. L'histoire est pleine d'exemples montrant que l'action d'un individu, la personnalité d'un individu, a changé quelque chose.»

Source: Le Devoir, 9 août 2005