vendredi, novembre 30, 2007

Le Portrait

La littérature est réellement un univers fabuleux. On prend ce petit objet, en général une surface plane de 10cm par 20 cm rempli de papiers et, quelques fois comme par magie, on se retrouve dans des mondes insoupçonnables. Avec la contemplation d'une oeuvre d'art, je dirai que lire un roman inspirant est un des grands plaisirs de l'Ancien et le moderne.

Alors quand, trop rarement, je rencontre un roman ou un essai consacré à une seule oeuvre d'art, c'est le bonheur total...Avouez, un livre pour une seule oeuvre : quel projet fou et merveilleux. Dès le début de ce blogue, j'avais écrit un billet sur le livre de Jean-Paul Kaufmann qui présentait pendant 300 pages l'histoire de "La Lutte avec l'ange" du peintre Delacroix que l'on retrouve aujourd'hui accrochée à St-Sulpice (Paris). J'avais adoré.

Pierre Assouline récidive à sa façon en s'appropriant une oeuvre du peintre français Dominique Ingres .

L'écrivain français, dans son récent livre "Le Portrait" donne vie au portrait, peint par Ingres en 1848, de Betty de Rothschild, somptueuse représentation du romantisme français du XIXe siècle par l'un de ses principaux artisans. Pierre Assouline utilise cette idée géniale de faire parler notre portrait, prétexte pour naviguer habilement dans cent cinquante ans d'histoire du vieux continent en traçant, en pointillé, la biographie d'une de ses plus illustres dynasties. "Vue de mon mur, la comédie humaine est d'une saveur inédite".

J'ai particulièrement apprécié dans ce livre, outre l’érudition toute fluide de l’auteur, l’évident plaisir de raconter dont témoigne l'auteur, ainsi que l’extraordinaire chaleur humaine qui émane de chacun des protagonistes de cette « biographie fantastique » en chair et en peinture.

La Baronne James de Rothschild (1805-1886) est certainement l'un des plus beaux portraits exécutés par Dominique Ingres. Ce portrait nous raconte la France, les Rothschild, l'aristocratie et leur monde depuis deux siècles. Il dit ce qu'il a vécu, ce qu'il a perçu des conversations là où il fut accroché, dans les hôtels particuliers parisiens des enfants de Betty, au château de Ferrières, au château de Neuschwanstein (Allemagne) où Hitler entreposa les tableaux pillés en France (dont le portrait de Betty de Rothschild) pour son futur musée. Mme de Rothschild commente aussi ses sorties plus récentes à New York, Londres et Paris.

Le Portrait s'ouvre sur une phrase d'une déchirante mélancolie : "Rien ne console parce que rien ne remplace".

Après sa mort en 1886, la baronne Betty de Rothschild connait une seconde existence, accrochée au mur. Elle revient alors sur sa vie, raconte l'histoire de sa famille, et chronique l'évolution du monde vue de son angle spécifique. Pierre Assouline nous fait voyager dans le temps et dans l'espace au gré des pérégrinations du tableau et des pensées de celle qu'il représente. Betty de Rothschild est une jolie Juive généreuse et déterminée, fortement imprégnée de la valeur de son rang - et des devoirs y afférant.

Elle observe avec humour et acuité les mondanités, relate ses rencontres avec Chopin ou Balzac par exemple.

Empreinte d'une douce mélancolie, la plume de Pierre Assouline est d'une élégance et d'une poésie rares. Les mots coulent avec une infinie délicatesse, l'ambiance est mélodieuse et vaporeuse. Le Portrait est en effet un roman de la mémoire ("Notre mémoire est pleine de petites Atlantides englouties, libre à nous de les ressusciter dans les larmes ou la douce évocation des bonheurs à jamais enfuis") et du spleen. Mais une mémoire diffuse, égarée et très sensorielle.

Si le bonheur est dans les mots et les arts, je vous le dis, il est actuellement tout proche de Pierre Assouline et de Mme de Rothschild...

mercredi, novembre 21, 2007

Bien-sûr que Jésus a existé...

La Bible, Dieu, Jésus de Nazareth, le christianisme, le catholicisme...enfin l'histoire des religions (plutôt de MA religion) m'intéresse et m'interpelle depuis plus d'une décennie. Je dirais plus dans un cadre historique, sociale, artistique que de démarche personnelle de spiritualité.

Il y a des gens qui ne comprennent pas comment on peut être athée et croire en la réalité historique de Jésus de Nazareth. J'ai déjà écrit sur ce pseudo-paradoxe dans ce blogue

Mais là, les recherches archéologiques récentes viennent confirmer de façon encore plus certaines la réalité historique de Jésus.

J'ai terminé il y environ un mois, un fascinant ouvrage intitulé "Jésus, compléments d'enquête" et rédigé par dix spécialistes -- historiens, biblistes et exégètes -- de réputation internationale.

Avec les connaissances que nous avons en 2007, le constat est assez clair comme l'écrit le théologien Daniel Marguerat . «Nous n'en sommes plus aujourd'hui, précise-t-il, à nous demander si Jésus a existé ou non. La multiplicité des sources documentaires le concernant et leur précocité font de lui le personnage historique le mieux attesté de toute l'Antiquité. Aussi, ajoute-t-il, mettre en doute son existence relève de la sottise.» Cela réglé, une question, néanmoins, demeure: «Fut-il ce que les évangiles disent de lui?» Pour y répondre, les chercheurs doivent donc faire la part de ce qui relève de la foi et de ce qui relève des faits dans les témoignages disponibles et scruter «l'obscurité pour deviner qui il fut et comment il apparut à ses contemporains».

On redécouvre, aujourd'hui, sa pleine judaïté et son inscription dans la société et les débats de son époque. Marguerat, par exemple, affirme que Jésus n'a jamais rompu avec le judaïsme, mais que la radicalité de son message (l'amour d'autrui avant la Loi), sa revendication d'une autorité non dérivée («il parle au nom de Dieu») et le sentiment d'urgence de l'expérience de Dieu qu'il professe ont suscité de violentes résistances. «L'action de Jésus, explique Marguerat, visait à réformer la foi d'Israël, entreprise à laquelle les autorités religieuses de l'époque se sont opposées. C'est à l'échec de cette réforme que le christianisme doit sa naissance.»

Certains croyants craignent parfois que la recherche historique de type scientifique concernant le Jésus historique n'ébranle les fondements de la foi. Marguerat leur donne tort. «Le travail historien, explique-t-il avec raison, n'asphyxie pas la croyance; il participe à son intelligence et à sa structuration, et ce n'est pas un mince service qu'il lui rend.» Le credo de l'incarnation, c'est la grandeur du christianisme, «nous assigne à composer une image de l'homme Jésus». La foi, bien sûr, permet l'interprétation des faits, «mais elle se déconsidère si elle se réfugie dans l'infantilisme de l'ignorance en refusant de prendre en compte les résultats du labeur des historiens».


Jésus a fort probablement existé. Était-il le fils de Dieu? Ça, c'est une toute autre question...


*** Jésus, compléments d'enquête Préface de Daniel Marguerat Bayard/ Le Monde de la Bible, 160 pages

samedi, novembre 17, 2007

Un solo pour mon frère

En écoutant (et regardant) ce vidéo du solo du bassiste Mark King (du groupe Level 42), j'ai eu une pensée pour mon frèrot joueur de basse.

Pour lui :

dimanche, novembre 11, 2007

Ma vie Cicéron

Je ne fais pas grand'chose dans la vie depuis 1 mois sinon lire Cicéron ou sur Cicéron. Adieu littérature, jeux, musique électronique et alcool...Cicéron prend toute la place.

D'abord à travers la magnifique et volumineuse biographie de Pierre Grimal pour qui l'orateur romain est celui qui nous transmit une partie de la philosophie grecque en l'adaptant à un monde moins éthéré que les philosophes grecs.

Aussi par le roman historique "Imperium" de Robert Harris. C'est le premier volume d'une trilogie sur la vie de Cicéron dont l'histoire est absolument passionnante, non seulement à cause du talent narrateur de Robert Harris, mais parce que Cicéron a vécu à une époque déterminante de Rome, en a façonné l'histoire et a laissé une quantité d'écrits attestant autant de sa participation à ces évènements qui ont marqué le cours de l'histoire, que de ses attachements affectifs, de son humour et de sa propension aux potins. J'attends impatiemment le prochain volume.

Sa vie est fascinante indeed; un vrai roman...avec ses alliances et mésententes avec Marc Antoine, Jules César, Pompée, Auguste (Octave), Crassus, Brutus, etc. Mort assasiné parce qu'il était Pompéen et qu'il n'a pas pu se rallier les pro-césariens. Je suis convaincu que nous aurons un film sur Cicéron un jour.

Ses oeuvres sont nombreuses, en grande partie à cause de son esclave grec Tiron qui lui a longuement survécu et qui a permis la publication de tous ses discours et dissertation. Plus de 40 volumes de Cicéron sont aujourd'hui traduits aux Belles Lettres.

En fait, mes lecteurs perspicaces auront compris depuis un bout toute l'affection que j'ai pour ce philosophe et orateur romain du 1er s. av JC. (par deux billets sur ce sujet ici et surtout ici).

Mais actuellement ma vie est subjuguée surtout par le projet philosophique de Cicéron, en faisant la part (bien-sûr) de l’héritage qu’il assume et transforme, mais en retenant surtout les deux aspects suivants:

Tout d’abord, Cicéron veut écrire la philosophie en latin, non en grec. Pour cela il est amené non seulement à traduire, mais surtout à élaborer une langue philosophique qui n’existait pas encore. Cicéron, pense à partir de découpages propres à la langue latine car il est convaincu que toute réflexion ne peut s’opérer que dans un milieu linguistique commun, où les catégories et les notions se constituent au fil d’une histoire partagée. En découpant, déplaçant, remontant des modules et des expressions du grec et du latin, Cicéron invente ainsi les notions et les domaines propres à la philosophie occidentale.

Le second aspect est l’usage particulier que Cicéron fait de l’histoire de la philosophie. Il fût le premier à n'être pas mû par une inspiration doctrinales, mais par la conscience que les questions majeures de l’enquête philosophique doivent être discutées dans un espace polémique, où le débat contradictoire fixe les doctrines comme des modèles de pensée qui se constituent dans la confrontation. Ainsi la réflexion sur la connaissance est-elle structurée pour Cicéron par le conflit entre le stoïciens, épicuriens et académiciens; par exemple le choix de la conduite morale se trouve circonscrit par les conceptions rivales proposées par les stoïciens et les épicuriens .

C’est pourquoi Cicéron utilise dans son œuvre le dialogue. Le débat contradictoire entre deux positions, qui se caractérise par l’examen équitable des arguments de l’une et de l’autre part , est ce qui permet à Cicéron de se définir « académicien » .

Cicéron a tout sondé, tout étudié; c’est l’antiquité vivante, l’homme verbe, comme l’appelle Lamartine, et après Platon le plus grand style de toutes les langues.

« C’est un vase sonore qui contient tout, depuis les larmes privées de l’homme, du mari, de l’ami, jusqu’aux catastrophes de l’homme du monde, jusqu’aux pressentiments tragiques de sa propre destinée. Cicéron est comme un filtre où toutes ces eaux se déposent et se clarifient sur un fond de philosophie et de sérénité presque divines, et qui laisse ensuite s’épancher sa grande âme en flots d’éloquence, de sagesse, de piété pour les dieux, et d’harmonie. On le croit maigre parce qu’il est magnifiquement drapé, mais enlevez cette pourpre, il reste une grande âme qui a tout senti, tout compris et tout dit de ce qu’il y avait à comprendre, à sentir et à dire de son temps à Rome » (Lamartine, Les Confidences).

samedi, novembre 10, 2007

Amin Maalouf

Un trop modeste mot sur un romancier libanais que j'estime beaucoup: Amin Maalouf .

Avec cet écrivain se rencontrent Orient et Occident, chrétienté et Méditerranée et ceux qui lisent L'Ancien et le moderne doivent bien deviné qu'un tel parcours doit bien me rejoindre.

Symbole de cette union des deux mondes, l'auteur libanais est à l'image de ses personnages: un voyageur itinérant, qui parcourt les terres, les langues et les religions.

Né à Beyrouth en 1949 dans une famille lettrée, au sein de la minorité melkite, journaliste de formation, Amin Maalouf débute au grand quotidien An-Nahar. Mais devant les atrocités de la guerre, il choisit de quitter le Liban avec femme et enfants en 1976 et s'installe à Paris.

Rédacteur en chef plusieurs années durant du magazine Jeune Afrique, il couvre de nombreux conflits et sillonne le monde, en quête de vérité autant que d'identité. Après le succès d'un premier essai, Les croisades vues par les Arabes, Amin Maalouf entre pleinement en littérature en 1986 avec Léon l'Africain, biographie du légendaire explorateur musulman.

Suivent d'autres biographies romancées: celle du poète Omar Khayyam dans Samarcande, ou du philosophe Mani dans Les jardins de lumière.

Mais c'est avec Le rocher de Tanios (prix Goncourt 1993), récit enchanteur qui mêle amour et révolte au XIXe siècle sur fond d'un Liban déjà déchiré, qu'Amin Maalouf se révèle véritablement au grand public.

Depuis ce succès, l'écrivain poursuit une oeuvre subtile et humaniste qui dessine en creux les failles politiques et religieuses qui empoisonnent notre rapport à l'autre. J'y vois un grand lien (malgré les origines fort différentes) avec l'oeuvre de Jacques Grand'Maison