jeudi, juin 29, 2006

Le Quartier rouge

Amsterdam

La ruelle étroite était d'asphalte cuite et odorante, douce et humide après la pluie. Elle était bordée sur toute sa longueur de loges colorées par des prostituées dont les corps au marbre émouvant se tenaient devant des petites fenêtres de poupée, comme sur le seuil d'un sanctuaire. Elles étaient assises sur des tabourets à trois pieds, telles des pythies, les pieds dans des sandales de couleurs vives, en pleine rue pour ainsi dire. L'originalité de l'éclairage donnait à toute la scène les teintes d'une fable éternelle: toutes les fenêtres étaient éclairées par une série de néons orangés, accrochés sur le sommet des fenêtres; ce qui jetaient d'irréelles ombres dans les coins de ces maisons de poupées, dans les yeux de leurs occupantes, dans la douleur docile de ces ténèbres de fourrures.

Je marchais lentement parmi ces extraordinaires figures humaines en songeant tout d'un coup qu'une ville, tout comme un être humain, rassemble en son sein ses faiblesses, ses peurs et ses appétits.

Les jeunes habitantes du Quartier rouge d'Amsterdam étaient assises là, telles des cariatides soutenant les ténèbres, les souffrances de l'avenir peintes à même leurs paupières; veillant, attendant l'immortalité, tout au long du temps fatidique.

Je ralentissais encore le rythme et je vis une loge dont le sol était entièrement décoré de fleurs de lys sur un fond de bleu royal. Sur le pas de la porte était assise une femme noire aux yeux bleus, une géante qui ne pouvait pas avoir vingt ans, vêtue d'une chemise de nuit de soie qui la faisait vaguement ressembler à une élève d'une école de soeurs. À côté, une femme fragile comme une feuille, et plus loin une autre comme une formule chimique rincée dans l'anémie et la fumée de cigarette. J'étais salué sur mon chemin non par des cris vénaux mais par de douces propositions de colombes, et leurs voix paisibles remplissaient la rue d'une paix de cloître.

Plus loin, les groupes d'hommes, eux, étaient en rut. Par grappes difformes de 10,12 ou 15 gars, on les entendaient crier, s'exciter, s'encourager entre eux. Je fus surpris et troublé devant tant d'animalité brute de ma moitié de l'humanité.

Je continuais de marcher lentement.

À la frontière du Quartier rouge d'Amsterdam, j'ai remarqué une dernière loge où brûlait une chandelle. Trois filles étaient assises sur des tabourets, enveloppées dans des kimonos déchirés, parlant à voix basses en se tenant par la main. Elles semblaient ainsi absorbées, aussi loin que si elles avaient été autour d'un feu de camp dans les steppes.

Je quittais le Quartier rouge en tentant de dénouer dans ma vie ce qui était noué...

mercredi, juin 28, 2006

Lumières d'Europe

Je retiens une chose de cette première étape de mon voyage actuel en Europe; ce sont les lumières.

Dans un premier temps, lumière du ciel constamment en changement de Dublin. La pluie suivie d'un soleil maritime venait trop souvent brouiller les pistes. Mais sinon, à part les pubs à tous les coins de rues et la visite intéressante de l'usine Guinness, pas grand'chose à raconter de cette ville grise, à l'architecture ouvrière d'inspiration anglaise que l'on dit en pleine expansion....Peut-être rajouter que les gens de Dublin ont le sens de la fête et ça les distinguent drôlement des anglais...

Plus intéressant sont les rapports à la lumière de Rembrandt et Van Gogh que j'ai pu observer dans les musées d'Amsterdam. Assez frappant et surprenant comment les deux peintres utilisent la lumière avec force mais dans des directions opposées. Rembrandt (XVIIe s.) use un style pictural dramatique où les forts contrastes lui valent rapidement une grande réputation de son vivant en faisant évoluer le style classique de son époque.

Auto-portrait de Rembrandt (1629)


Cet auto-portrait de Rembrandt (peint lorsqu'il avait 22 ans!) que j'ai vu au RijksMuseum d'Amsterdam m'a frappé par (bien-sûr) son jeu de lumière mais surtout sa modernité. Hors de son contexte, on pourrait croire à une oeuvre du milieu du XIXe s et non du début du XVIIe, il me semble. C'est un portrait plein d'audace, car la lumière provient de l'arrière et la majeure partie du visage de l'artiste se trouve dans l'ombre. Seuls sont éclairés le cou et le bas du visage. Pour ses cheveux, il a réussi a suggérer le jeu des boucles en inventant une nouvelle technique: gratter dans la peinture encore humide...

Le tourmenté Van Gogh (1853-1890) vit pour la première fois des impressionnistes et des post-impressionnistes en début 1886 lors de son arrivé à Paris. La palette de couleur sombre qu'il utilisait en Hollande s'avéra désespérément démodée. Son génie fût de transformer radicalement et rapidement son jeu de couleur.

Son séjour en Provence confirma son style lumineux.

Paysage de Provence de Van Gogh (1889)



Mais les peintures de Van Gogh, toutes lumineuses quelles soient, rendent tristes. Il admirait le sombre Remblandt qui est mort agé et heureux semble-t-il. Il n'a cependant jamais trouvé sa sérénité; son oeuvre étant indissociable de sa vie tragique et de son mal de vivre.

Je n'aime pas la période impressionniste, peut-être parce que trop banalisée par les posters de cuisine...Mais voir de près les toiles de Van Gogh, constater l'épaisseur de la toile crée par les petits coups de spatules..ça redonne la foi! C'est à Amsterdam, en regardant un paysage de Van Gogh que j'ai pris conscience de l'importance de voir les oeuvres réelles de proche.

Aucune image numérique ou papier, aucune reproduction sur un blogue ne peut transmettre l'émotion comme de les voir pour le vrai.

La révolution numérique ne remplacera pas (heureusement) la nécessité d'aller régulièrement dans les grands musées du monde...

samedi, juin 17, 2006

Que faire de nos vies (2e partie)

Suite de mon texte du 11 juin 2006 qui se terminait ainsi:

On ne peut plus tout savoir comme à la Renaissance, l'art actuel va dans des milliers de directions, on a perdu l'illusion de pouvoir changer le monde, Dieu serait mort selon plusieurs,...il ne reste que nous comme individu??? et pour quel destin??...alors que faire?
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Cher fiston,

Le thème du sens de vie n'est simple mais est fascinant. Tout le monde se pose la question un jour ou l'autre. On peut trouver des enseignements dans nos vies personnelles. Mais qu'est-ce qu'une vie dans le tourbillon des siècles? Tu me connais. Je préfère l'enseignement des centaines de philosophes qui étudient la question depuis 25 siècles... Allons-y!

Albert Camus affirme au début du Mythe de Sisyphe qu'il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux, celui de savoir si la vie peut avoir un sens.

Si la question du sens de la vie est tragique, c'est que la question est beaucoup plus évidente que la réponse.

Le réflexe de tous, selon nos prédispositions et la manière que chacun désire anesthésier l'angoisse de l'existence, est souvent de trouver réponse soit dans la religion (la vie n'a de sens que la perspective de l'au-delà), dans l'humanisme (oeuvrons à l'avancement de la culture et/ou de l'Homme) ou dans un esprit vaguement hédonistes (style: jouissons de la vie, il n'y en a qu'une).

Selon Jean Grondin, pour la philosophie, seule la voie de Socrate est ouverte: celle de la connaissance de soi ou du dialogue intérieur. Mais en rapellant bien que la philosophie du sens de la vie ne peut pas être une philosophie du bonheur.

La vie peut être un printemps. Mais elle peut aussi être effroyablement sibérienne. La cruauté de la vie n'a pas à être rappelée. Pour les philosophes du sens de la vie, le bonheur a quelques choses d'exceptionnel, de gratuit, de forfuit, il ne peut être produit, aménagé, assuré, il peut au plus être espéré, et surtout pour les autres.

Raymond Aron a raison d'écrire qu'on ne vit pas sur commande des moments parfaits (dans ses Mémoires (1983), un livre qui m'a d'ailleurs fortement marqué)

En fait, le bonheur est toujours celui des autres, car nous sommes effectivement à même de les rendre moins malheureux. Kant a dit avec justesse que si nous ne pouvons viser notre propre bonheur, nous pouvons toutefois nous rendre "digne d'être heureux" en visant justement le bonheur d'autrui. Cette notion du Bien a été cristalisée par Platon et repris par la plupart des religions.

L'idée de Jean Grondin (professeur de philosophie à l'Université de Montréal), assez fulgurante, est la suivante:

"Si j'avais à répondre à la question du sens de la vie, sans y aller par quatre chemins, j'aimerais dire que le sens de notre vie est de vivre comme si notre vie devait être jugée. "

Platon était convaincu que la vie n'a que de sens que si elle se sait confrontée à un tel jugement, à un examen, qui est aussi et surtout un examen de soi par soi.

J'imagine avec sourire un tribunal composé d'êtres de grande bonté...qui jugerait de ma vie, errements, gestes égoïstes et fragilités...oups! Y a-t-il une note de passage? Est-ce que ma mère pourrait être mise à contribution? Pas évident indeed!!!

Toutefois la vie humaine doit s'accomoder d'un sens qui ne sera jamais une assurance, mais qui peut contribuer à faire de nous des êtres meilleurs, voués au Bien, en commençant pas celui des autres.

La vie qui a du sens--en latin, on dirait la vie qui sapit, qui a de la saveur--est la vie qui s'engage dans un sens qui la dépasse. Cette vie qui a saveur de sens est peut-être le plus exaltant espoir de l'homo sapiens (toujours selon Grondin).

Bien-sûr tout cela sans trop s'oublier, en demeurant un être signifiant et original...

Voilà fiston, où j'en suis rendu...le bonheur est dans la bonté!

En attendant d'y arriver, j'irai prendre un petit verre (ou 2) pour réfléchir à la chose... mon tribunal saura bien attendre...

Source principale: Jean Grondin. Du sens de la vie. Bellarmin. 2003

dimanche, juin 11, 2006

On me rappelle Lawrence Durrell

J'ai lu Le carrousel sicilien de Lawrence Durrell lors de mon premier voyage de "learning travel" qui portait sur l'histoire romaine et grecque de l'Italie du sud.

Je lisais donc son journal de voyage et de réflexion en Sicile même! Expérience transcendante que j'ai relaté indirectement dans ce blog:
http://ancienetmoderne.blogspot.com/2006/01/mes-souvenirs-de-la-sicile-grecque.html

Quelques années plus tard, j'ai acheté la grande oeuvre de Durrell soit Le quatuor d'Alexandrie. Il est resté longtemps (cad peut-être 2 ans) sur ma table de chevet ce qui veut dire ma short list des livres à lire. Il y a eu une première tentative qui n'a pas dépassé les 50 premières pages de ce cycle de 4 romans qui contient 1000 pages.

Pourtant, le thème m'interpelle énormément. On me dit que Durrell y présente un voyage spectaculaire à l'intérieur de l'âme humaine où il raconte plusieurs histoires avec les personnages qui y dansent, chantent, et pleurent à coté de Dostoïevski, Freud, Proust, Nietzsche, et autres. En utilisant un langage extrêmement lumineux, Durrell se balade avec nous à Alexandrie (Égypte), juste avant la deuxième guerre mondiale. Il nous montre les visages de l'homme moderne: son art et son amour, sa joie et sa douleur, dans une juxtaposition de religion, société et de civilisation.

Avec le déménagement sur le Plateau en mars dernier, Le quatuor d'Alexandrie a quitté ma chambre pour atterrir dans ma bibliothèque; ce qui est une très mauvaise nouvelle pour un roman...je risque de ne pas le lire de sitôt!

Mais la destinée état ce qu'elle; j'ai lu cette semaine un article où Gregory Charles indiquait que son ultime roman était Le quatuor d'Alexandrie ... c'est un signe! Je viens à l'instant de transférer ce roman de ma Bibliothèque à ma chambre...

Que faire de nos vies (1ère partie)

Pas toujours facile...

Je vieillis en apprenant toujours. La formule est de Solon et Jean-Jacques Rousseau l'avait placée en début d'un de ses livres. Apprendre toujours, oui, mais apprendre quoi?

Que plus on avance en âge, plus on ressent de l'impuissance; que plus on lit, plus on mesure son ignorance? L'être apprend avec le temps qu'il ne sait pas grand chose, qu'il ne saura jamais, qu'il est impossible de venir à bout d'un monde de plus en plus complexe qui nous dépasse. Admettre que nous ne savons pas est la marque même de la maturité.

Il ne s'agit surout pas de baisser les bras!! Et encore moins d'abandonner quoique ce soit. Il faut marcher, il faut rêver et continuer. Apprendre, toujours apprendre même si cela ne change pas le monde. Apprendre parce que ça nous change, nous! Mais, en étant conscient qu'il ne suffit pas de voter ou de lire sur la paix pour que la paix soit.

Le pire tourment de l'Homme est d'avoir connaissance de tout, sans disposer de pouvoir sur rien, disait Hérodote.

C'est toujours avec grande tristesse que nous avouons notre impuissance en face de ce qui arrive. Le mot hélas est un mot qui a de l'avenir. Nous sommes tous désolés. Nous sommes tristes devant les injustices, les tsunamis, les maladies et les malfaisants. Nous sommes abattus par la cruauté de l'histoire, par la bêtise des humains, par les coups du hasard, par la répétition des choses...et surtout nous ne comprenons pas.

Mais quoi comprendre justement?? Chaque pays a cent versions de son histoire. Chaque quartier de la ville, chaque village, chaque maison, chaque conscience humaine est un puits sans fond. Un petit exemple: j'avais été émerveillé de comprendre que l'escalier en colimaçon avait été inventé par un architecte inconnu de la Grande Grèce, à Selinonte, il a 2 500 ans...Dans cette ancienne ville désolée de la Sicile ou même les touristes ne font plus...à part des maniaques comme moi. Cela fait 6-7 ans que je m'intéresse à l'Antiquité comme un fils à la recherche de sa mère et j'en sais si peu...

Alors si je n'arrive pas à bien maitriser les fondements de ma propre culture...que comprendre des arabes, des mulsulmans ou de l'Irak..? Et ailleurs et partout où l'injustice et la violence font rage.

Une autre question qui me trouble actuellement: Comment remettre l'Afrique sur les rails ? L'Afrique dont le seul examen des ethnies, des identités, de l'histoire, ancienne et récente demanderait trois vies de passion, d'obsession, de travail. Lire Ryszard Kapuscinski m'appaise; mais est-ce suffissant?

Je referme son dernier livre, je regarde la télé, nous sommes en 2006, la terre tourne toujours, les technologies explosent et nous vivons une rébellion en l'Irak... Je deviens gaga en apprenant que nous refaisons les mêmes erreurs collectives, que nous nous enfargeons dans les mêmes clôtures, que nous suivons une seule voie. En fait, la société est peut-être simplement comme chacun d'entre nous: elle ne fait que veiller à ses intérêts et fait de son mieux pour les protéger.

Résultats?: l'intérêt personnel trop souvent prime, le pouvoir se concentre, le mystère s'épaissit, le mesquin obéit à une loi de fer. Plus on lit, moins on comprend...comme dans la chanson de Jean Gabin...

Et Rousseau de renoncer, donnant par là raison à l'efficacité des mesquins et à la cruauté du destin. "Je suis désolé. Il ne me reste que mon âme. Hélas ! Je n'y peux rien. " Disait-il.

On ne peut plus tout savoir comme à la Renaissance, l'art actuel va dans des milliers de directions, on a perdu l'illusion de pouvoir changer le monde, Dieu serait mort selon plusieurs,...il ne reste que nous comme individu??? et pour quel destin??...alors que faire?


Inspiré librement de Serge Bouchard

La voix du baseball

Bonjour,

2e saison de baseball sans les Expos à Montréal. Je reposte mon billet que j'avais écrit il y a un an environ sur le sujet

A&M
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J'aime le baseball depuis toujours, comme on aime l'idée de courir sur les sentiers ou de se tenir debout dans le champ. Cette relation avec le baseball a toujours été liée avec la voix de Jacques Doucet à CKAC décrivant tranquillement un match de baseball les soirs d'été à la radio.

Les expressions françaises de Monsieur Doucet qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l'oblige à reculer, qu'il regarde aller la balle du simple fait qu'elle est partie, il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou que la défensive soit mystifié par une balle qui a des yeux ou que le frappeur soit menotté par un lanceur dominant...

Mais je sais que l'amour du baseball n'est pas à la portée de tout le monde. Ses longueurs déconcertent les gens de peu de foi. Le baseball est rythme lent, atmosphère, il est climat, il nous retient insidieusement. C'est une machine à figer le temps. Il est comme la mémoire des plus tranquilles archives de l'histoire.

Pas facile d'expliquer cela à une fille qui ne connaît ni le baseball ni la voix de Monsieur Doucet. Jamais fille n'est plus dérangeante dans l'auto que lorsqu'elle parle par-dessus Monsieur Doucet, ou qu'elle ferme la radio comme si de rien n'était, en neuvième manche, après deux retraits. Pour te donner un bec..!

Je suis aller voir les Expos au Parc Jarry quelques fois et au Parc Olympique plus souvent. Mais moi, j'écoute le baseball à la radio avec Monsieur Doucet. J'entends depuis 33 ans, depuis en fait que je suis un petit garçon, la voix de Jacques Doucet annoncer en avril le retour du beau temps, je l'entends suggérer que l'été sera beau uniquement du simple fait que cette voix si familière revient, comme toujours...Décrire 162 matchs par année pendant près de 35 ans demande une certaine attitude à la fidélité et à la répétition. Car l'âme est répétitive et elle aime les petits pas...

Je me rappelle un séjour de camping dans la région de Québec. J'avais 12 ans et la rougeole. Cloué au lit de la tente-roulotte toutes mes journées, j'attendais patiemment les reportages des Expos de Montréal que la radio portative m'amenait...c'était mes moments de petits bonheurs quotidiens.


Jacques Doucet (à gauche) après le dernier match des Expos à l'automne 2004


Mais maintenant, à quoi ressemblera mon été 2005 sans la voix de Monsieur Doucet décrivant les matchs tous les soirs et m'accompagnant quelques manches chaque fois que je prend ma voiture?

Sa disparition des ondes fera un grand trou noir dans ma ligne du temps. La voix de Monsieur Doucet a meublé tant de vide et tant d'étés, elle a pris une si grande place dans mon paysage sonore qu'elle a fini par entrer en moi-même.

Cette voix m'habitait, m'appartenait et maintenant je la perds. Mes voyages d'été en automobile ne seront plus jamais les mêmes...



Source: Inspiré de Serge Bouchard

jeudi, juin 08, 2006

L'Afrique de Ryszard Kapuscinski

Il n'y pas grand chose à l'épreuve de mon optimisme, sinon la situation actuelle de l'Afrique centrale. La réalité est peut-être pire que ce que l'on voit dans les journaux (corruption, économie dérisoire, pauvreté indescriptible, guerres civiles, etc).

Le seul espoir m'apparaît être dans les gens d'Afrique. J'ai lu que de trop peu de livres sur le sujet mais le meilleur et de loin m'apparaît être Ébène du polonais Ryszard Kapuscinski.

Ryszard Kapuscinski n'appartient pas à cette race d'auteurs qui écrivent un ouvrage définitif sur un pays au terme d'un séjour de trois semaines. Il aura fallu quarante-trois ans de fréquentation assidue de l'Afrique à ce journaliste polonais pour qu'il se risque enfin à en livrer un portrait magnifique et terrifiant, chaleureux et accablant. Ses courts chapitres s'échelonnent des débuts de la décolonisation à nos jours, et privilégient les pays les plus misérables ou ceux dont le passé est le plus tragique: Éthiopie, Soudan, Somalie, Liberia, Nigeria, Rwanda, Ouganda.

Kapuscinski a le don de raconter en dix ou vingt pages le règne ubuesque d'Idi Amin Dada ou la rivalité sanglante des Hutus et des Tutsis. Mais le peintre de fresques se fait aussi miniaturiste: il évoque un feu de camp, un logement qu'il occupa jadis à Lagos, une rencontre avec des nomades sahariens, des palabres avec des paysans de la savane, des cauchemars éveillés et de purs instants de bonheur. Dans des pages lumineuses, il nous aide à comprendre ce que signifie pour ces hommes à la peau d'ébène l'appartenance à une ethnie et à un clan, comment fonctionnent les solidarités et quels sont leurs effets pervers, et, par-dessus tout, quelle vision du monde peut avoir quelqu'un qui ignore de quoi sera fait son prochain repas!

Ebène. Aventures africaines
Ryszard Kapuscinski
PLON
traduit du polonais par Véronique Patte.
373 pages.

Poème de Victor Hugo

Plusieurs lecteurs m'ont écrit pour me parler du poème de Victor Hugo que j'ai posté dans une réponse à des commentaires d'un billet précédent. Il s'agit d'un texte dédié à Juliette Drouen, qui fût la maîtresse d'Hugo pendant plus de 30 ans. On me dit que ce texte mérite meilleure place. Voilà, je le reproduis ici à nouveau:

Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine,
Puisque j'ai dans tes main posé mon front pâli,
Puisque j'ai respiré parfois ta douce haleine
De ton âme, parfum dans l'ombre enseveli,

Puisqu'il me fût donnée de t'entendre me dire
Les mots où se répand le coeur mystérieux,
Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux...

Je puis maintenant dire aux rapides années:
"Passez! Passez toujours! Je n'ai plus à vieillir!
Allez-vous en, avec vos fleurs toutes fanées;
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir.

"Votre aile, en le heurtant, ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendre!
Mon coeur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli!"

Victor Hugo 1837
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Source: Victor Hugo, biographie de Alain Decaux (1984), p.506-507 . Effectivement, j'ai retranscris le texte de ce livre. Je ne l'ai jamais trouvé sur le net. Victor Hugo a produit l'équivalent de 20 000 pages manuscrites, on en retrouvent qu'une petite partie sur internet.

NB Pour ceux qui connaissent Pablo Neruda (poète chilien du 20e s.), on peut remarquer par ce texte d'Hugo, l'influence évidente sur l'écriture de Neruda

NNB Je vous rappelle toute l'admiration que j'ai pour Victor Hugo. je vous invite à relire un de mes billets sur le sujet: http://ancienetmoderne.blogspot.com/2006/01/victor-hugo-les-misrables-et-mon.html

dimanche, juin 04, 2006

Freud et Oedipe (ajout)

Un lecteur (Hans) m'envoit un commentaire sur Freud. Avec sa permission, je me permets de le publier ici.

" Merci pour ce billet sur Freud. C'est un sujet grave et vous le traîter avec légèreté. Vous avez manifestement beaucoup de plaisir à écrire votre blog. Je me permets un bref ajout sur Freud.

En effet, je suis un peu surpris que vous ne parliez pas du Complexe d'Oedipe. Surpris parce que Freud a emprunté "l'image" d'Oepide dans la mythologie grecque (et c'est un thème de votre blog) et aussi parce que c'est un élément central dans l'oeuvre de Freud.

Je rappelle que Freud a appellé "Complexe d'Oedipe", l'ensemble relié des deux désirs contradictoires (libido pour la mère et pulsion de mort pour le père chez le petit garçon, libido pour le père, pulsion de mort pour la mère chez la petite-fille), qui se met en place vers l'âge de 5 ans chez l'enfant.

Le cadavre d'Oedipe bouge encore

Normalement, le "Complexe d'Oedipe" est "détruit": en grandissant, l'enfant doit renoncer à ses premiers désirs. Pourtant, le complexe d'Oedipe continue, plus ou moins intensément, à marquer notre psychisme. Ainsi Freud explique-t-il l'homosexualité (théorie très controversée- l'attachement au père ou à la mère est si intense que tout affect vers une personne de même sexe que lui ou elle s'en trouve interdit) ou le choix amoureux (nous sommes inconsciemment attirés par des hommes ou des femmes qui présentent des traits analogues à ceux de notre père ou de notre mère.)

En fait selon Freud, pas plus que l'Oedipe de l'antiquité grecque, nous ne serions libres de décider de nos choix: nous croyons être libre car nous sommes conscients de ces choix, mais nous n'en connaissons pas la raison..."
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Hans

samedi, juin 03, 2006

La vie et Freud

La beauté de la chose quand on est simple (dans le sens noble du mot, je l'espère) d'esprit est de ne pas voir la vie avec complexité. En fait, je pourrais résumer ma conception de la vie en deux volets:

1) Une compréhension de l'individu qui est freudienne

2) Et celle de l'art et de la collectivité qui est grecque.

Je pourrais arrêter là mon blogue puisque tout est dit mais comme j'aime écrire...

Ayant pas mal parlé du monde grec, je me permets d'expliciter mon rapport à Freud qui est assez fécond. Quelques lectures plutôt intenses, des cours de psycho qui m'ont passionnés, me permettent de me qualifier de freudien même si je suis d'accord avec les critiques modernes qui reprochent à Freud de s'être cantonné à l'inconscient individuel, oubliant un peu trop le collectif, et accordant de ce fait peut-être trop d'importance à la sexualité.

Mais svp ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain...

Un petit rappel sur la vie de Freud

Freud naît le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie. Ses parents s'installent à Vienne où il résidera jusqu'en 1938, avant d'émigrer à Londres. Il fait de brillantes études médicales et biologiques mais doit renoncer à la carrière universitaire en raison de ses revenus modestes et de son origine juive. Il ouvre un cabinet médical et s'intéresse de plus en plus aux troubles psychiques. Il découvre l'hypnose avec Charcot à Paris. A partir de 1895, il élabore la théorie psychanalytique en travaillant sur les rêves et l'importance de la sexualité dans la formation des névroses.

Ses théories

C'est en psychanalysant des malades adultes que Freud a découvert des événements traumatisants ou des difficultés relationnelles lors des premières années de la vie. Selon Freud, toute la genèse de la personnalité s'explique en fonction du développement de la pulsion sexuelle, ou libido. Il fit scandale en son temps lorsqu'il parla de "sexualité infantile" et décrivit les stades libidinaux : le stade oral (de la naissance à 12-18 mois), le stade anal (de 18 mois à 4 ans), le stade phallique (génital) et le complexe d'Œdipe (de 4 à 6 ou 7 ans).

Le terme de "sexualité infantile" utilisé par Freud n'a pas été toujours compris par le grand public qui le résume trop souvent à la "sexualité génitale". En réalité, pour Freud, la sexualité infantile n'est pas la réalisation directe d'une activité sexuelle comme l'entendent les adultes. Il s'agit plutôt de la recherche du "plaisir". Tout individu, quel que soit son âge, est à la recherche du plaisir et cherche à satisfaire ce besoin en utilisant son environnement. Freud définissait la sexualité infantile par "tout ce qui concerne les activités de la première enfance en quête de jouissance locale, cad de plaisirs".

Ce que j'en retiens ou comment faire de la psycho-pop...

En fait, cher ami lecteur de ce blogue; où je rejoins Freud est dans ce rapport au plaisir et à l'enfance. Rajoutons donc un jalon à la littérature "psycho-pop" en y allant des théories de l'Ancien et du moderne, se basant sur les grands principes de la littérature freudienne:

- En général, si un individu a eu (dans son enfance) une relation saine et sereine (donc de plaisirs!) avec le parent du même sexe, il aura une relation avec soi plus facile.

- De la même façon, si un individu a eu (dans son enfance) une relation saine et sereine (donc de plaisirs!) avec le parent de l'autre sexe, il aura une relation avec les individus de l'autre sexe plus facile.

Une fois cela compris et intégré, chacun doit y aller de son propre cheminement. Bien-sûr en n'oubliant pas la prémisse freudienne c.a.d. qu'il s'agit d'un rapport complexe avec l'inconscient! Et en n'oubliant pas non plus la fameuse maxime de Yogi Berra (célèbre receveur des Yankees de NY) : "Y'en aura pas de facile!"

Mais au-delà de ma vision toute personnelle, il m'apparaît important de faire le postulat suivant: L'enseignement freudien se veut aussi un emblème de la modernité.

La découverte de la signification de l'inconscient a ébranlé la croyance en la toute-puissance de la raison et a détruit à jamais l'illusion de l'unité de l'individu. Ce faisant, la psychanalyse a perturbé "le sommeil du monde"...