jeudi, juin 29, 2006

Le Quartier rouge

Amsterdam

La ruelle étroite était d'asphalte cuite et odorante, douce et humide après la pluie. Elle était bordée sur toute sa longueur de loges colorées par des prostituées dont les corps au marbre émouvant se tenaient devant des petites fenêtres de poupée, comme sur le seuil d'un sanctuaire. Elles étaient assises sur des tabourets à trois pieds, telles des pythies, les pieds dans des sandales de couleurs vives, en pleine rue pour ainsi dire. L'originalité de l'éclairage donnait à toute la scène les teintes d'une fable éternelle: toutes les fenêtres étaient éclairées par une série de néons orangés, accrochés sur le sommet des fenêtres; ce qui jetaient d'irréelles ombres dans les coins de ces maisons de poupées, dans les yeux de leurs occupantes, dans la douleur docile de ces ténèbres de fourrures.

Je marchais lentement parmi ces extraordinaires figures humaines en songeant tout d'un coup qu'une ville, tout comme un être humain, rassemble en son sein ses faiblesses, ses peurs et ses appétits.

Les jeunes habitantes du Quartier rouge d'Amsterdam étaient assises là, telles des cariatides soutenant les ténèbres, les souffrances de l'avenir peintes à même leurs paupières; veillant, attendant l'immortalité, tout au long du temps fatidique.

Je ralentissais encore le rythme et je vis une loge dont le sol était entièrement décoré de fleurs de lys sur un fond de bleu royal. Sur le pas de la porte était assise une femme noire aux yeux bleus, une géante qui ne pouvait pas avoir vingt ans, vêtue d'une chemise de nuit de soie qui la faisait vaguement ressembler à une élève d'une école de soeurs. À côté, une femme fragile comme une feuille, et plus loin une autre comme une formule chimique rincée dans l'anémie et la fumée de cigarette. J'étais salué sur mon chemin non par des cris vénaux mais par de douces propositions de colombes, et leurs voix paisibles remplissaient la rue d'une paix de cloître.

Plus loin, les groupes d'hommes, eux, étaient en rut. Par grappes difformes de 10,12 ou 15 gars, on les entendaient crier, s'exciter, s'encourager entre eux. Je fus surpris et troublé devant tant d'animalité brute de ma moitié de l'humanité.

Je continuais de marcher lentement.

À la frontière du Quartier rouge d'Amsterdam, j'ai remarqué une dernière loge où brûlait une chandelle. Trois filles étaient assises sur des tabourets, enveloppées dans des kimonos déchirés, parlant à voix basses en se tenant par la main. Elles semblaient ainsi absorbées, aussi loin que si elles avaient été autour d'un feu de camp dans les steppes.

Je quittais le Quartier rouge en tentant de dénouer dans ma vie ce qui était noué...

5 commentaires:

Anonyme a dit...

Magnifique texte. Émouvant!

Anonyme a dit...

J'ai trouvé votre texte par hasard grâce à Google. Votre blogue est une révélation, votre texte sur le Quartier rouge admirable.

Anonyme a dit...

J'ai aussi trouvé votre blog par hasard. J'aime beaucoup. Enfin un blog original et votre texte sur le Quartier rouge est vraiment touchant. Je le réfère à tous mes amis!

Anonyme a dit...

J'ai visité Amsterdam il y a quelques années et le red light m'avait rendu triste. Je sens beaucoup de tristesse dans ce texte, très beau par ailleurs

Anonyme a dit...

Magnifique Emouvant

merci