Il fait suite aux six premiers textes que j'ai écrit dans le cadre de cette série, toujours par ordre alphabétique et de parution:
#7 Simone de Beauvoir ou Souvenirs d'un jeune homme rangé...
Je me souviens du temps où j'étais un jeune homme rangé. Lors d'un tour d'Europe qui avait pris la place d'une session d'université. Londres, Edimbourg, Bretagne, San Sebastian, Paris, Provence, Salamanca, Madrid, Tolède, Algavre et Lisbonne...Un voyage de musées, de paysage et de romans de 4 mois durant lequel je n'y ai rencontré personne. Je n'étais pas là; seul, tout tranquille et perdu dans mes romans russes et français -surtout-du XIXe siècle.
C'est au beau milieu de ce voyage, dans le pays basque français que je suis tombé sur "Mémoires d'une jeune fille rangée" de la philosophe et écrivaine française Simone de Beauvoir (1908-1986). Je ne connaissais un peu l'histoire de Sarte-de Beauvoir" mais s'en plus.
Dans ce premier opus (qui a été suivi de "La Force de l'âge" et de "La Force des choses"), Simone de Beauvoir se raconte de sa toute petite enfance (née en 1908), à ses 21 ans (où elle commence tout juste à fréquenter Sartre platoniquement).
L'écrivaine narre donc son enfance et sa jeunesse auprès de sa famille bourgeoise du sixième arrondissement parisien et de son amie Zaza. Au début du XXème siècle, bien qu'elle soit une femme, elle cherche profondément à s’affirmer contre les contraintes de sa classe sociale. Très douée pour les études, elle souhaite et est certaine qu’un destin hors du commun l’attend dans le domaine de l’écriture. Elle se heurte alors avec son entourage et avec elle-même, en se cherchant, en se découvrant petit à petit. Ces mémoires sont donc les mémoires d’une jeune fille tourmentée entre son éducation étouffante et de ce qu'elle désire être réellement, et qui se libère peu à peu avec courage dans les livres et dans un Paris chaleureux, notamment grâce à l’apparition de Jean-Paul Sartre dans sa vie .
Mais ce qui me frappa et me saisi au début de ma lecture fut le niveau d'écriture. Simone de Beauvoir parle d'une façon très libre à son lecteur : de sa vision de la vie, de son amour pour Sartre, de sa sexualité...Je me sentais dans une position d'écoute face à Simone de Beauvoir qui me racontait son intimité.
Sartre dans un numéro de Vogue publié en 1965 l'affirmait :
« Simone de Beauvoir a une communication idéale avec le public. Mettons si vous voulez une différence entre elle et moi. Je ne communique pas émotionnellement, je communique avec des gens qui réfléchissent, qui pensent, qui sont libres vis-à-vis de moi qui pense... Simone de Beauvoir elle communique affectivement tout de suite avec les gens. Il y a chez elle une manière de mettre tout de suite l'autre personne en question, mais en amitié. Elle ne prend jamais de supériorité avec ses lecteurs. La façon dont elle parle d'elle, c'est une façon de parler des autres...». Et ma foi, il a raison.
Et puis, évidemment, plus que tout, ce qui me toucha dans ce livre était son amour de la littérature, ses émois, ses premières « impressions profondes » de lecture. Je rencontrais une vraie lectrice vivante: « Soudain, des hommes de chair et d'os me parlaient, de bouche oreille, d'eux-mêmes et de moi ; ils exprimaient des aspirations, des révoltes que je n'avais pas su me formuler, mais que je reconnaissais. J'écumai Sainte-Geneviève : je lisais Gide, Claudel, Jammes, la tête en feu, les tempes battantes, étouffant d'émotion. » « Je me disais que, tant qu'il y aurait des livres, le bonheur m'était garanti. » Encore le bonheur...
Mais je compris plus tard que tout autant que nous sommes, c'est toujours la réponse au "Comment" de cette quête du bonheur que nous cherchons. Et même (et peut-être surtout) Simone de Beauvoir au confluent du siècle et des changements sociaux ni échappa pas.
À cet égard, la fin des Mémoires d'une jeune fille rangée est une fin "ouverte". Simone de Beauvoir fait la somme de toutes ses expériences et demande au lecteur d'en façonner le sens final. Mais toutefois à la fin de La Force de l'âge, elle explique bien l'échec foudroyant de sa vie. Elle n'aura pas réussi à tenir les deux pôles extrêmes de la condition humaine : le bonheur et la tristesse. Mais elle tenait au moins à réussir à faire partager avec émotion son expérience aux femmes et aux hommes; et à ce titre, elle y est arrivé avec éclat!