dimanche, novembre 05, 2006

Mes romans du XXe siècle: #6 Albert Cohen

Mon 6e billet de ma série de mes 25 romans favoris du XXe siècle qui relate ma relation avec 25 romans du XXe siècle portera cette fois-ci sur un très long et troublant roman d'Albert Cohen, Belle du Seigneur.

Il fait suite aux cinq premiers textes que j'ai écrit dans le cadre de cette série, toujours par ordre alphabétique:

1) Les Robots d'Isaac Asimov
2) Entre la sainteté et le terrorisme de Victor-Lévy Beaulieu
4) L'Étranger d'Albert Camus
5) Les dix petits nègres d'Agatha Christie.

#6 Albert Cohen ou le roman de l'homme qui fut jeune...

Je ne sais trop comment débuter ce texte. C'est pourquoi j'envoie toutes sortes de billets sur mon blogue depuis 2 semaines pour attendre l'inspiration. Des billets sur le Web 2.0 ou des listes de restaurants en attendant qu'Albert Cohen (1895-1981) m'inspire un texte adéquat...mais ça ne vient pas. Je ne vois tout simplement comment on peut aborder Belle du Seigneur d'Albert Cohen.

C'est un peu plat de rapporter que tout le monde dit dans tous les pays et dans toutes les langues qu'il s'agit de la plus grande oeuvre littéraire romantique du XXe siècle. J'en suis aussi convaincu mais ce n'est pas très transcendant comme phrase!

Comme le roman est trop fort pour mes pauvres mots, je vais vous parler de l'auteur Albert Cohen. Cet homme qui a été longtemps diplomate dans le Genève d'après-geurre était aussi un écrivain respecté mais peu connu.

En 1968, agé de 73 ans , Albert Cohen publie en France un roman-fleuve de 1110 pages de passion-torride intitulé Belle du Seigneur. La critique en parle peu... En pleine révolution étudiante, raconter un amour passionnel entre deux aristocrates genevois...le timing n'était pas bon. Le roman n'eut qu'un succès d'estime.

Puis 10 ans passe et il y a le 23 décembre 1977...Bernard Pivot, dans son émission Apostrophes, laisse parler un vieil auteur de 82 ans de passion, d'amour et du temps où il fut jeune. Du jour au lendemain, Albert Cohen devient une grande vedette littéraire parisienne, on vend 200 000 copies de Belle du Seigneur en un an et le roman est traduit dans une douzaine de langues.

Ma rencontre personnelle avec le roman date de juillet 2002 sur simple recommandation d'un collègue de travail. Dès la lecture des premiers mots, j'ai compris que j'avais un grand roman entre les mains.

La lecture d'Albert Cohen: tout simplement bouleversant!



Si j'étais millionnaire et proustien, je crois que je copierais à chaque jour une page de ce roman dans un nouveau blogue que j'intitulerai "Les mots de la Belle du Seigneur" pour simplement avoir le plaisir de taper des belles phrases insensées comme: "Dans la forêt aux éclats dispersés de soleil, immobile forêt d'antique effroi..."

Les thèmes de Belle du Seigneur heurtent aussi, quand on a passé outre la magnifique sonorité des mots, comme pour nous faire comprendre que la passion est tout et malheur en même temps. Parce que l'on comprend dans la 2e moitié du roman que les amants du roman (Solal et Ariane) n'y arriverons pas et on les voient tranquillement se briser l'un contre l'autre dans une douleur infinie.

Je ne peux continuer ce commentaire sans parler du monologue de l'auteur en plein milieu de son roman. C'est un texte magnifique qui est aussi selon moi la pierre angulaire du livre. En effet, Albert Cohen, sortant de son rôle d'écrivain, vient lui-même commenter le spectacle de la passion de la jeunesse. Le vieil homme (celui qui fut jeune)crie, rage, désespère devant son impuissance de revivre la passion malgré la souffrance de l'amour torride. Ce texte du court chapitre commençant à la page 540 est un des plus émouvants que je n'ai jamais lu : 4 pages renversantes.

Le chapitre de la page 540 sépare aussi l'espoir du désespoir. Avant la page 540, on suit les hauts et les bas d'Ariane et de Solal avec l'espoir d'un heureux dénouement...après ce chapitre, on comprend rapidement que notre lecture n'est plus qu'un long accompagnement magnifique vers un échec total et dramatique.

Oh bien sûr, je vous l'accorde, Belle du Seigneur se traîne un peu à la fin. Langoureusement, follement, suavement, avidement... Cela étant, à part ça, merveilleux.
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Je suis pleinement heureux dans ma solitude, mais avec une soudaine pitié de cet homme âgé qui va mourir bientôt et qui met tant de soi et d'amour à tracer ses petits vermisseaux d'encre, alors qu'il y a la belle vie dehors.

Albert Cohen
Carnets (1979)

Merci Monsieur Cohen!
A&M

10 commentaires:

Anonyme a dit...

Pour ma part, Belle du Seigneur a été un roman troublant qui m’a longtemps laissé perplexe sur l’amour et la passion. Est-ce que la passion c’est l’amour? Est-ce que l’amour engendre la passion? Peut-il y a avoir de la passion sans amour? Sujet aux préoccupations très féminines direz-vous! Mais le sujet, l’intrigue et le dénouement si tragiques ont pris tellement de place dans mon espace intellectuel que je n’ai pu apprécier le style littéraire à sa juste valeur. Je me promets de relire ce chef-d’œuvre dans un état d’esprit aux préoccupations moins existentialistes afin de laisser toute la poésie des mots prendre toute sa place.

Anonyme a dit...

Je suis votre blogue depuis un petit bout ainsiqu'une dizaine d'autres. Je n'écris jamais de commentaires. Je lis, je m'inspire et je vais à un autre blogue. Mais je tiens cette fois-ci à souligner à quel quel point votre texte et votre démarche me touche. J,ai lu la Belle du Seigneur il ya une dizaine d'années au moins. J'avais oublié à quel point ce texte m,avait touché. Je revis cette émotion en lisant votre texte

merci. C'est très beau!

Anonyme a dit...

Wow! Je ne peux pas croire que vous avez créé un autre blog pour relayer des pages entières de "Belle du Seigneur" . Je navigue beaucoup sur internet et c'est la premirèe fois que je vois quelqu'un faire cela. Bravo! Effectivement, rien de mieux que de lire les mots de Cohen!

Anonyme a dit...

As-tu copié toi-même les pages du roman?

Le lecteur de romans russes a dit...

Bon! Pour répondre à ta question; démystifions un peu les choses:

1) Il est très, très facile de créer un blogue. Sans blague, si on a déjà ouvert un "blogger", ça prend 1 ou 2 minutes à peine.

2)Je voulais rendre disponible(à ceux qui le désirait) des extraits de la première page et la page 540 de la Belle du Seigneur. J'ai réussi à trouver quelques extraits sur le Net mais j'ai dû en retaper la moitié je dirais.

3) Ce qui donne: http://lesmotsdelabelleduseigneur.blogspot.com/

Facile!

Anonyme a dit...

Très beau roman qui effectivement est un peu long vers la fin...

Anonyme a dit...

Ce livre est resté plus d'un an dans ma bibliothèque car les 1110 pages me décourageaient un peu. Et pourtant je l'ai lu en 1 semaine l'an passé. Votre billet me rappelle de beaux souvenirs de lecture

C'est un roman d'une beauté et d'une intelligence remarquable, admirablement bien écrit. Chaque mot est pesé, aucune expression n'est laissée au hasard. Les monologues intèrieurs des personnages sont criants de vérité. Ce livre est tout : drole, poétique,incisif, brillant mais surtout bouleversant de réalisme. C'est un chef d'oeuvre à lire absolument car on en ressort forcément transformé : il y a un avant et un après Belle du Seigneur.

Anonyme a dit...

Très beau texte, très belle série...J'ai hâte de lire celui sur Simone de Beauvoir

Le lecteur de romans russes a dit...

Pour les fans d'Albert Cohen, on publie ce mois-ci deux inédits de jeunesse D'Albert Cohen aux Belles Lettres. Voir info à la suite
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Albert Cohen
Les Inédits
coffret 2 volumes : Ecrits d'Angleterre / Mort de Charlot


Écrits d'Angleterre

On sait que, dès juin 1940, Albert Cohen rejoignit l’Angleterre pour continuer la lutte contre l’Allemagne nazie. Installé à Londres, il deviendra, en 1945, conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés.

Le présent volume réunit trois textes de cette période :

– Angleterre, un hymne superbe à la grandeur de ce pays qui a porté de façon admirable l’esprit de résistance durant les années de guerre ;

– Churchill d’Angleterre, portrait inspiré et lyrique du vieux lion et des années de combat ;

– le texte intégral d’une conférence prononcée à Genève en janvier 1949 sur L’Organisation internationale pour les réfugiés et la protection juridique et politique.

Magnifiques textes littéraires, dignes des meilleures pages romanesques d’Albert Cohen, ces Écrits d’Angleterre étaient devenus introuvables depuis de nombreuses années.


Mort de Charlot

suivi de "Projections ou après-minuit à Genève" et "Cher Orient"

Ces textes, d’Albert Cohen, ont été publiés dans les années 20 dans la Nouvelle Revue Française et dans la Revue Juive. Ils marquent l’entrée en littérature du jeune Albert Cohen, remarqué et admiré par Jacques Rivière, directeur et animateur de la Nouvelle Revue Française puis, quelques temps après par Max Jacob, André Spire, et Albert Einstein.

Depuis lors, ces textes n’avaient jamais été réédités.

On y retrouve la langue, le style, et l’humour de l’auteur de Belle du Seigneur et de Mangeclous.

Ils témoignent par ailleurs, selon Christel Peyrefitte “ que la totalité des thèmes qui seront ultérieurement développés jusqu’à l’obsession est déjà présente ”.

Anonyme a dit...

Transition avec un commentaire précédent: moi qui suis très lente à lire habituellement, j'ai avalé les 1000 pages de Cohen en 3 semaines au contraire... une boulimie de bonheur impossible de freiner! Une littérature francaise délicieuse à consommer. Un classique obligatoire. D'ailleurs, j'ai attendu 30 ans pour connaitre 'Belle du seigneur' dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Mais il n'est jamais trop tard... Cohen joue si bien avec la langue, le style, avec ses héros qu'il m'a redonné une vivacité littéraire.