vendredi, novembre 24, 2006

Histoire d'un succès littéraire--Les Bienveillantes

Mal m'en a pris d'écrire à l'inverse du blogue de Pierre Assoulinen dans mon dernier billet sur Henry Miller. En fait, il avait pas mal raison!! Difficile lecture que "Les livres de ma vie" d'Henry Miller. Quelques passages éblouissants (dont celui sur Balzac) mais en gros...il faut être volontaire pour passer à travers, ce que je n'ai pas été encore capable...un style patchwork manquant d'éclat.

Dans une boulimie qui m'est parfois caractéristique, j'ai acheté cette semaine le Prix Nobel de la littérature soit "Neige" du turc Orthan Pamuk et le récipiendaire 2006 du Prix Goncourt "Les Bienveillantes" de l'américain Jonathan Littell. Ayant déjà commis un billet sur Orthan Pamuk, j'ai le goût de vous raconter l'histoire assez intéressante (et incroyable) du tout récent "Les Bienveillantes" de l'américain Jonathan Littell. Rarement, en France (et ailleurs dans le monde) avons vu un nouveau roman porté par une telle rumeur: vraiment instructif comme parcours que je tente modestement de vous résumer.

Même si je n'ai pas encore lu mon nouvel achat, j'en connais bien l'histoire pour en avoir lu le résumé dans la plupart des chroniques littéraires montréalaises. Jonathan Littell y transcrit à la première personne de son lecteur ("Je suis un homme comme vous. Allons, puisque je dis que je suis un homme comme vous!") la confession de l'officier SS Max Aue, un intellectuel raffiné qui extermine sans états d'âme les Juifs et autres ennemis du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le titre Les Bienveillantes est emprunté aux Grecs anciens qui appelaient ainsi les Érinyes, déesses de la vengeance, pour ne pas les offenser. Fasciné par les horreurs de la guerre et de l'holocauste, l'auteur indique avoir voulu "comprendre ce qui amène les gens à devenir des bourreaux" et se mettre jusqu'au bout dans la peau et le regard du SS dont il relate les mémoires.

Le succès est lié à l'angle d'un thème porteur, à un réel talent littéraire selon plusieurs mais aussi, il faut le dire, aux commentaires hyper positifs de la presse parisienne qui ont qualifié le livre de "nouveau Guerre et paix" (Le Nouvel Observateur), "d'évènement du siècle" (Jorge Semprun, membre du jury Goncourt), de "livre le plus impressionnant jamais écrit sur le nazisme" (Le Monde), "d'éblouissant" (L'Express), de "passionnant" (Le Figaro)," d"impressionnant hommage à la langue française" (Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture). Le jeune et brillant Jonathan Littell (il parle 5 langues) est comparé entre autres à Shakespeare, Dante, Tolstoï, Dostoïevski, Grossman, Visconti, Malaparte, etc. Pas mal du tout pour un tout jeune américain écrivant en français!

Gallimard flaire le possible Goncourt étant donné le thème médiatiquement porteur du roman; prend ce manuscrit qui comptait alors plus de 1 000 pages écrites en français. Gallimard verse un montant de 30.000 euros, somme très inhabituelle pour un premier roman, et confie le texte à un éditeur maison, Richard Millet, chargé de le corriger.

Celui-ci coupe et retravaille le texte avec l'auteur. Ensuite, le roman est présenté dès le mois de juin à un certain nombre de journalistes littéraires parisiens, non à titre de "premier roman" comme les autres mais exceptionnellement avec déjà le statut d'oeuvre littéraire, selon les termes mêmes du dossier de presse. Mission parfaitement remplie par ces derniers. Tiré d'abord à 12.000 exemplaires Les Bienveillantes sort en librairie le 21 août. Le buzz parisien et la campagne de médiatisation sont immédiatement lancés. Dès septembre le livre est propulsé en tête des meilleures ventes (250 000 exemplaires vendus au début novembre) grâce à une intense couverture de presse tandis que l'auteur joue l'anti-vedette, refusant notamment toute interview télévisée et prenant ses distances avec la cuisine des prix littéraires français.

La pression augmente encore avec des papiers publiés dans la presse anglo-saxonne (New York Times, Publishers Weekly,...) et des ventes record de droits lors de la Foire du livre de Francfort (400.000 euros pour le futur éditeur allemand, 1 million de dollars pour les Etats-Unis,..). Le 26 octobre Jonathan Littell remporte le Grand Prix du Roman de l'Académie Française décerné à la majorité absolue et fait coup double le 6 novembre en remportant au premier tour par 7 voix contre 3 le Prix Goncourt 2006.

Jonathan Littell est né le 10 octobre 1967 à New York. Fils du journaliste et écrivain juif américain Robert Littell, auteur de best-sellers (des romans d'espionnage pour la plupart consacrés à la Guerre froide), il a suivi ses études secondaires au Lycée Fénelon de Paris, où il a passé le Bac en 1985, avant de continuer ses études à l'université de Yale (Etats-Unis) dont il sortira diplômé en Art et littérature. À partir de 2001, il décide de se consacrer entièrement à la rédaction de son roman, Les Bienveillantes.

Source: La République des Lettres et autres blogues dont celui de Pierre Assouline

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