dimanche, mai 28, 2006

Epitaphes II--Les héros de la guerre de Troie

Les dernières recherches archéologiques démontrent plus clairement l'existence de Troie et sa fameuse guerre décrite par Homère (VIIIe s. av JC).

Tout au long de l'antiquité (surtout romaine), plusieurs auteurs ont rapportés avoir vu les pierres tombales des héros grecs (aujourd'hui bien-sûr disparues). Pure invention d'auteurs romains qui n'ont probablement jamais vues les dites tombes? Peut-être! Mais les épitaphes qui suivent ont frappé l'imagination de l'époque et ont voyagé jusqu'à nous pendant 2 000 ans parceque même 6 pieds sous terre depuis 32 s., leurs histoires nous parlent encore..

I. Agamemnon

ROI des rois, fils d'Atrée, j'ai vengé la femme de mon frère, et je meurs des mains de la mienne. Que m'a servi de punir dans ma douleur le ravisseur d'Hélène, si Clytemnestre tue le vengeur de l'adultère ?

II. Ménélas

HEUREUX Ménélas, tu es digne de la demeure des dieux et de l'Élysée promis à ton ombre pieuse. Gendre bien-aimé de Tyndare, bien-aimé de Jupiter, tu venges l'hyménée, tu punis l'adultère ; doué d'une éternelle vie et d'une jeunesse éternelle, tu ne subis l'outrage ni de la mort ni de la vieillesse.

III. Ajax

ON me plonge avec Ajax sous la pierre du sépulcre, moi la vertu guerrière, et je pleure au tombeau mes propres funérailles. J'arrache mes cheveux en désordre, parce que l'injuste Atride me força de céder aux complots de la ruse. Mais je ferai naître de cet illustre sang une fleur de pourpre, qui attestera par un cri de douleur l'iniquité de ce jugement.

IV. Achille

UNE même terre ne possède pas toutes les dépouille : d'Éacide : le rivage de Sigée recouvre ses os, et Larisse a brûlé sa chevelure. Mais le corps du héros thessalien, Achille, repose dans cette tombe, sur laquelle ont pleuré les neuf Muses.

V. Ulysse

C'est le tombeau de cet Ulysse auquel les Grecs, dans la guerre de Troie, ont dû si souvent leurs victoires

VI. Diomède

ICI repose Diomède, plus vaillant que son vaillant hère. Le crime de sa femme le chassa d'Argos, sa ville dotale. Fondateur d'Argyripa, et d'Arpos célèbre par ses grands hommes, sa ville nouvelle lui fit plus de gloire que son antique patrie.

VII. Nestor

RENFERMÉ dans ce tombeau, après avoir prodigué ma vie au quatrième âge de sa durée, je suis Nestor, célèbre par la sagesse et l'éloquence. Mon fils marcha, pour me sauver, au-devant de la mort qui le frappa lui-même, et le père vécut du trépas de l'enfant. Hélas ! pourquoi la destinée qui dispose de nos jours, prit-elle ainsi plaisir à faire la vie si longue pour moi, et si courte pour Antilochus ?

VIII. Hector

C'EST ici le tombeau d'Hector : sa Troie est ensevelie avec lui. Ils reposent ensemble, puisque ensemble ils ont péri.

et

LES braves Béotiens ont élevé à Hector ce grand tombeau comme une protection pour leur pays, comme un souvenir pour la postérité.

IX. Priam

CE n'est point là le tombeau de Priam, ; je ne suis point enterré en ce lieu. Les Grecs ont arraché ma tête ; et moi, cadavre mutilé, sans funérailles et sans nom, je me suis réfugié près des cendres d'Hector, dont je suis le père. Là j'ai retrouvé aussi mes enfants, et Troie et l'Asie, ensevelis avec lui, et tous les débris de notre empire.

X. Hécube

MOI qui fus reine, moi la fille de l'illustre Dymas, moi l'épouse de Priam, moi la mère d'Hector, Hécube, je suis morte ici écrasée sous des monceaux de pierres. Mais ma langue avait auparavant servi ma rage, et ma vengeance. Ne vous fiez point à la royauté, au nombre de vos enfants, à la noblesse de votre origine, vous qui lisez notre épitaphe au Tombeau de la Chienne.

XI. Astyanax

FLEUR de l'Asie, unique débris d'une grande faucille, bien jeune encore, mais déjà redoutable aux Argiens par son père, ici repose Astyanax, précipité du haut de la porte Scée. Ô douleur ! les murs Neptuniens d'Ilion ont vu quelque chose de plus cruel que le supplice d'Hector !

XII. Sarpédon

SARPÉDON le Lycien, fils de Jupiter, j'espérais, grâce à la divinité de mon père, aller au ciel ; mais je suis, enfermé dans ce tombeau, après avoir été pleuré avec des larmes de sang. Ô destins de fer ! Et celui-là souffre ma perte, qui pouvait l'empêcher !

XIII Nastès et Amphimachus

NASTÈS et Amphimachus nobles enfants de Nomion, nous commandions autrefois, et nous ne sommes plus qu'ombre et poussière.

XIV. Polydorus.

ÉLOIGNE-TOI, étranger ; fuis ce myrte que tu ne connais pas : c'est une moisson de javelots qui a pris racine dans mon sang. Percé de traits, je restai enseveli sous mes propres débris, et ce tombeau est le second qui recouvre Polydorus. Le pieux Énée sait bien, et toi aussi, roi impie, que si le crime d'un Thrace écrase mon cadavre, le culte d'un Troyen lui donne un abri.

XV. Euphemus

EUPHEMUS, chef des Cicones, est enseveli dans les champs de Troie, près d'une statue de Mars armé de la haste. Et l'inscription gravée sur la pierre sépulcrale ne suffit pas : une énorme statue charge encore le front de sa tombe. Ils s'écroulent bien vite, ces monuments accumulés ; et plus le faste est grand, plus grande est la ruine.

XVI. Hippothous et Pyléus, enterrés dans un jardin

HIPPOTHOUS et Pyléus sont renfermés dans le sein de cette terre ; le chou et la mauve verdoient à sa surface : et la culture du jardin ne trouble point le repos de leurs cendres ; car la main les épargne en cultivant ces plantes légères.

XVII. Ennomus et Chromius

ICI reposent Ennomus et Chromius : la Mysie fut leur empire, Alcinus leur père, et l'Océan leur aïeul. A quoi bon cette haute noblesses ? Plus leur origine est illustre, plus les lois du trépas leur pèsent.

XVIII. Polyxène

POLYXÈNE et Troyenne, on m'enferme au tombeau d'Achille : j'aurais mieux aimé que la terre ne couvrit jamais mon cadavre. Vous faites mal, Achéens, de réunir ainsi deux tombes ennemies : c'est un outrage plutôt qu'une sépulture.

samedi, mai 27, 2006

"Spleendide Montréal"

Le ciel est gris à Montréal encore ce matin et depuis toujours, il me semble. C'est un bon temps pour le spleen. Mot intégré dans la langue française grâce au "spleendide" poème de Baudelaire (mes excuses pour le jeu de mot facile!)

Spleen : Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle


Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ;
l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Baudelaire (1857)

mardi, mai 23, 2006

Mozart au HMV de Montréal

Plusieurs biographes de Mozart proposent des choix discographiques et des CDs incontournables. Il y a quelques jours à peine, j'entrais au disquaire HMV (au coin de Ste-Catherine et Peel) à Montréal avec ma petite liste pleine de noms que je ne connaissais pas.

À l'étage de la musique classique, une jeune et magnifique asiatique m'attendait:

- Vous avez Le Requiem?
- Quelle version? (me répondait-elle avec un accent québécois parfait)
- (après avoir regardé ma feuille) Celle de Karl Böhm.
- Avec le Philhamonique de Vienne?
- S'il vous plaît
- Autre chose, monsieur?
- Oui (mes yeux sur ma feuille), la Petite cantate maçonnique K. 619
Elle consulte son catalogue
- Je ne l'ai pas en ce moment, monsieur, mais je peux vous la commander
- Don Giovanni, alors.
- Dans quelle version, monsieur?
- Celle de Carlo Maria Giulini (...me dictait mes notes)
- Avec Joan Sutherland et Elisabeth Schwarzkopf? (me répondit-elle de mémoire et sans hésitation)
- (silence) Oui (C'était les 2 autres noms qui étaient sur ma feuille!)
- Voici
- Vous aimez Mozart?
- Quelle question, monsieur! J'adore

lundi, mai 22, 2006

La France m'impressionne!

La France m'impressionne encore et toujours. La nouvelle qui suit en est une illustration.

Luc Brisson (orginaire du Québec) vient de passer 20 ans à traduire Platon et à coordonner la publication des oeuvres complètes en 27 volumes. Né il y a 60 ans à Saint-Esprit, dans une famille de six enfants dont le père était ouvrier-boulanger, Luc Brisson est aujourd'hui à Paris ce qu'on pourrait appeler une vedette pour happy few.

L'été dernier, lorsque l'hebdo Le Point consacrait un cahier spécial aux philosophes grecs, il était l'un des trois spécialistes interviewés. Ces dernières semaines, Le Monde lui a consacré une page entière, et Libération trois pages (couverture impensable à NY, à L.A . ou à Londres pour une tel sujet). Pas tout à fait à lui, mais à l'oeuvre dont il a été le principal coordonnateur et le plus important traducteur: la publication intégrale en 27 volumes des oeuvres de Platon. Un travail qui s'est étalé sur plus de 20 ans.

Et qui vient de se terminer avec la publication des deux tomes des Lois, une traduction à laquelle, avec Jean-François Pradeau, il vient de consacrer les six dernières années de sa vie.

À lui seul, Luc Brisson a signé la traduction de neuf des 27 tomes. Cette "grande aventure éditoriale", comme l'écrit Le Monde, était "un pari savant", c'est devenu un "succès populaire". La dernière édition des oeuvres complètes de Platon - plus de 2000 pages dans la Pléiade - datait de 1950: "La traduction de Léon Robin était magnifique, explique Luc Brisson. Mais le goût de l'époque voulait que les traductions donnent une impression d'étrangeté, que ça sonne grec. En fait, c'est incompréhensible pour des lecteurs d'aujourd'hui."

"C'est un résultat incroyable! s'exclame le platonicien Brisson. Quand je pense que Timée, un dialogue secondaire sur lequel j'avais fait mon doctorat, a vendu 15 000 exemplaires, alors qu'il traite de l'usage des mathématiques, un texte complètement anachronique, mais qui a déterminé toute l'histoire de la physique... Et Gorgias a vendu plus de 300 000!" (et pour un seul des 27 volumes!)

Seule la France, dans le monde d'aujourd'hui, peut connaître de telles ventes pour des éditions de qualité mais très spécialisées.

Pendant une vingtaine d'années, Brisson a donc effectué un voyage à l'intérieur du premier texte monumental de l'Histoire à avoir traversé 25 siècles dans son intégralité: "Des textes antérieurs à Platon, il ne reste rien ou des fragments: Parménide, Héraclite et les autres présocratiques. Même d'Aristote, qui fut l'élève de Platon, on n'a retrouvé que 20 des 150 textes. Mais les écoles platoniciennes étaient de grande qualité, reproduisaient plus de 2000 pages de dialogues avec une grande précision, et ont survécu jusqu'à la chute de l'Empire byzantin. C'est pourquoi aujourd'hui je travaille à la Bibliothèque nationale de Paris sur l'une des deux copies byzantines du IXe siècle, l'autre se trouvant au British Museum. Sur des parchemins d'une très grande beauté..."

Le résultat de ce travail colossal: des ventes records, des concerts de louanges dans la grande presse pour la qualité et la "fluidité" du nouveau texte, mais aussi pour l'appareil critique, aussi impressionnant que dans une édition de la Pléiade.

Vive la France!!

LES LOIS, de Platon (deux tomes)
Traductions de Luc Brisson et Jean-François Pradeau, Garnier Flammarion, 900 p. environ, février 2006.

Source: La Presse. 21 mai 2006

Fier d'être un occidental!

Mon blogue se veut (un peu) un Ode à l'Occident.

Les pensées et artistes occidentaux de toutes les périodes m'interpellent. De Homère à Jean Ferrat, de St-Augustin à Mozart en passant par Delacroix, Louise Robert et les autres. Beaucoup de mes billets soulignent, tout simplement la beauté émanant de cette culture d'où, par le plus merveilleux des hasards, je proviens.

Dans l'édition du 20 mai 2006 du journal montréalais "Le Devoir" la "Une" se titrait ainsi: Peut-on se dire Occidental et fier de l'être?

C'est une tendance tout-à-fait occidental de se remettre en question!! Et devant les revendications multiculturalistes qui se multiplient et la haine de l'Occident exprimée par les Ahmadinejad et Ben Laden, afficher comme je le fais sa «fierté occidentale» --- est-ce encore de mise? La question, en soi polémique, se pose, semble-t-il.

Pour certains, se dire occidental, c’est participer d’une civilisation qui, il n’y a pas si longtemps, se prenait encore pour LA civilisation, qui a colonisé des peuples, organisé des traites d’esclaves, etc., et qui, aujourd’hui, non seulement prospérerait grâce à un commerce absolument non équitable mais, au surplus, dont le mode de vie préparerait l’apocalypse envivironnemental (ouf!).

J'y constate bien-sûr toutes les folies et cela depuis l'antiquité grecque (les luttes entre Sparte et Athènes en était déjà un triste exemple) et jusqu'au XXe s. (l'Allemagne nazie en est l'incarnation). Mais moi, homme blanc occidental, j'y retiens surtout la volonté d'élévation, de remise en question, de recherche de beauté malgré l'adversité et la faiblesse de "l'Individu" ou de certains groupes qui ramènent vers le bas...

Heureusement (pour moi!), plusieurs penseurs d'aujourd'hui défendent l'Occident. Ainsi, selon Pascal Bruckner , il est parfaitement possible de manifester une fierté occidentale «sans rougir, aujourd'hui». Dans le tiers-mondisme de jadis comme dans l'altermondialisation contemporaine, «on perçoit toujours l'Occident comme étant la civilisation qui asservit, qui a colonisé nombre de peuples, qui a organisé l'esclavage». À en écouter certains, l'Occident en général et les États-Unis en particulier seraient même responsables, par exemple, des 200 000 morts imputées au terrorisme islamiste en Algérie, puisque ce même terrorisme a été fomenté par les Américains dans leur lutte contre l'URSS dans la guerre froide.

Mais, insiste-t-il, dans ces analyses convenues, on oublie bien aisément «l'autre part» de l'Occident, celle qui «a produit le mouvement anticolonialiste et les mouvements d'abolition». D'ailleurs, il y a ici exclusivité : ces mouvements en faveur de l'abolition, aux États-Unis et en Europe, ne sont le fait que de l'Occident, souligne-t-il. On «impute l'esclavage aux seuls Occidentaux et on oublie complètement qu'il y a eu au moins deux autres traites tout aussi violentes et beaucoup plus longues», dans les mondes arabe et africain. «Or je ne connais aucun régime oriental ou arabe qui, pour l'instant, a demandé pardon pour la traite des Noirs, qui a longtemps sévi. En Afrique, il n'y a que le président du Bénin, Kérékou, qui a demandé pardon en l'an 2000 pour la traite.»

Bruckner, aujourd'hui comme hier, insiste : «L'Occident est la seule civilisation qui fasse son autocritique, qui ait un rapport critique avec sa propre histoire.» En découle une autre particularité occidentale : il a produit des anthropologues.

Or, «qu'est-ce que l'anthropologie ? C'est une certaine manière de s'éloigner de soi-même et de s'approcher de l'Autre. Il y a dans l'anthropologie cette fascination pour les autres et cette sorte de dédoublement de l'identité». C'est d'ailleurs dans les rangs des anthropologues, qui ont pris une distance par rapport à leur civilisation, qu'on trouve souvent les critiques de l'Occident les plus virulentes, les plus radicales. Le paradoxe, en somme, est que «la critique de soi est consubstantielle à notre relation avec nous-mêmes». Mais celle-ci peut devenir aisément «haine de soi», avertit Bruckner.

De plus , le multiculturalisme est un exemple probant de cette ouverture à l'Autre proprement occidentale -- dixit Bruckner -- qui peut, au-delà d'un certain degré, se muer en haine de soi.

En fait, la dynamique même de la civilisation occidentale (je rajouterais son origine--on peut penser à Socrate) amène une autocritique plus virulente qu'ailleurs (en Chine, en Afrique ou dans le monde arabe par ex.).

Et cela, sans parler de la grande beauté qu'a produit l'Occident...par exemple nous n'avons qu'à suivre les textes littéraires, guidés par Thierry Hentsch pour en saisir toute la profondeur...

Je persiste et je signe

L'Ancien et le moderne, occidental

dimanche, mai 21, 2006

Épitaphes (I)

Jusqu'à récemment en voyage, je visitais systématiquement les vieux cimétières. J'aime les vieilles pierres, les noms inconnus, les dates anonymes...et les épitaphes. Je commence donc aujourd'hui une série de petits textes ou citations inspirés d'épitaphes.

(Déf. : Une épitaphe est une inscription ou poème gravés sur un monument funéraire.)
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Épitaphe 1. Il était musclé ?

"Naturellement, Craterios trouva encore le moyen de provoquer un scandale en apostrophant des jeunes hommes aux corps huilés, superbes, qui, visiblement épris d'exercices athlétiques, s'entraînaient à lutter et soulever des poids.

- Les beaux hommes dépourvus de culture sont comme des vases de marbe remplis de vinaigre. Vous me faites pitié! Vous passez plus de temps à vous entraîner à devenir coureur, lanceur, qu'à devenir honnête homme. Que mettra-t-on comme épitaphe sur votre tombe? Il était musclé?"

Eric-Emmanuel Scmitt. L'évangile selon Pilate. 2001

Épitaphe 2. L'abbé Mugnier

"Si je devais revivre ma vie, je la revivrais avec plus d'enthousiasme encore"

Épitaphe sur la tombe de L'abbé Mugnier (1853-1944)

De 1879 à 1939, l’abbé Mugnier a tenu un journal de vie sacerdotale et mondaine de celui qu’on a pu appeler le " confesseur des duchesses ". Il s’était imposé par les qualités les moins faites pour réussir dans un tel univers : la modestie, la sensibilité et la fraîcheur d’âme. Mais il admirait cette société et aimait plus encore la littérature. Les grands écrivains français (Proust... et les autres) se retrouvent dans ce journal. Je vous le conseille fortement.

Épitaphe 3. Robespierre

"Passant, ne pleure pas ma mort
Si je vivais tu serais mort."

Épitaphe sur la tombe de Robespierre (6 mai 1758- 28 juillet 1794)

Pas de commentaire...

mercredi, mai 17, 2006

Jean Ferrat

La vie est une grande boucle disait Malraux je crois.

J'ai toujours fait de drôles de rencontres. Par exemple, à l'Université, je m'étais intégré au sein d'un bizarre de groupe. 7 gars qui se rassemblaient en soirée pour écouter essentiellement ce qui n'avait déjà plus court au milieu des années 80: la musique française des années 50 et 60. Alors brassés entre les vagues disco et nationaliste; nous écoutions Reggiani!!

À cause de l'influence du leader du groupe, chaque membre du groupe (tous des gars québécois) avait adopté un chansonnier français et le défendait comme un étendard.

Pascal, le meneur du groupe, s'était approprié Jacques Brel (évidemment) . Mais il y avait aussi Jack (Boris Vian), Marc-André (George Brassens) , JF (Charles Aznavour), Charles (Léo Ferré), et Daniel (Serge Reggiani). Aucune fille dans le groupe, les filles ne s'intéressaient pas à la musique française. Personne pour défendre Piaf ou Barbara!

Le CEGEP m'ayant retenu un peu trop longtemps dans la léthargie, je commençais l'université une session en retard. Les chansonniers les plus connus étaient déjà pris. De toute façon, je n'y connaissais à peu près rien; je ne voulais que rentrer dans un groupe. Je croyais que Madeleine (de Jacques Brel) avait été écrite par Joël Denis!! L'enfance vide de la banlieue montréalaise me rattrapait.

Et comme Pascal avait une vague sympathie pour Ferrat, j'en héritais...

Jean Ferrat, pas Jean Ferrat! Ma mère écoutait sans fin "La Montagne" sur notre vieux pick-up et on l'entendait à CKAC le matin! (Mon dieu! que Ferrat est kétaine). Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour être aimé.

Je me mis à l'écoute des "7" en apprenant en plus, par coeur, les tounes les moins connues de Ferrat. À la longue, en ouvrant mon esprit, je ne dirais pas que ce fût une révélation mais pas loin...même si quelques chansons de Ferrat sont bien sirupeuses...

Jean Ferrat est étonnant sous le vernis du texte populaire, son inspiration s'oriente vers deux directions: l'engagement social et la poésie. Comme il le dit, il ne chante pas pour passer le temps. Toujours, il cherchera à donner à ses chansons une signification militante derrière le texte populaire

Moi, ma chanson favorite est "Au Printemps de quoi rêvais-tu ?" (1968); inspirée des événements de Mai 68 à Paris où il met en musique le poète Louis Aragon d'une façon magistrale:

Au printemps de quoi rêvais-tu ?
Vieux monde clos comme une orange
Faites que quelque chose change
Et l'on croisait des inconnus
Riant aux anges, au printemps de quoi rêvais-tu ?
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La vie continue, les années passent et je me suis bien-sûr gorgées de d'autres musiques aussi inspirantes les unes que les autres: le jazz, le blues, la musique classique, le rock et le pop et dernièrement le House. J'oubliais Ferrat dans le fond d'un rack à CD.

Et c'est récemment que revient la boucle de Malraux. Je me suis mis au I-tunes et I-pod. J'ai donc numérisé l'ensemble de mes CD. Et quelques part dans ma pile, il y avait mon Ferrat. Je le mis machinalement dans mon ordi et c'est depuis ce temps-là que je réécoute "Au Printemps de quoi rêvais-tu ?", "Je vous aime", "Camarade" et "Maria".

Mais pas par nostalgie. je l'ai déjà écrit, la nostalgie ce n'est pas ma tasse de thé. Je le réécoute parce que les chansons de Ferrat ont une âme et qu'elles transcendent le réel. C'est beau quoi.

Alors, je ne sais pas ce qu'est devenu mon ami Pascal. Mais aujourd'hui, je le salue bien bas pour avoir mis sur ma route les 7 immortels (et surtout Jean Ferrat).

vendredi, mai 12, 2006

Aristote, Victor Hugo et les prostituées

En français, le mot péripatéticienne est synonyme de prostituées de rues.

Le mot "péripatéticienne" provient d'Aristote. Durant l'antiquité, les péripatéticiens étaient l'autre nom des membres de l'école d'Aristote (les aristotéliciens). En grec, le mot péripatétikos signifie "qui aime se promener en discutant". Aristote aimait donner ses leçons en marchant. D'où l'application plaisante du mot aux prostituées qui font les cents pas sur le trottoir.

Victor Hugo, à plusieurs époques de sa vie, notait tout sur ses Carnets, et en particulier ses rencontres sexuelles fort nombreuses (et jusqu'à un âge avancé). Pour déjouer les soupçons de Juliette Drouet (sa secrétaire et...amante officielle fort justement jalouse), il utilisait un langage codé. Le nom d'Aristote revient de façon récurrente dans les Carnets d'Hugo. Plusieurs grands spécialistes de la littérature française se sont penchés sur cette anomalie. Il apparaît aujourd'hui vraisemblable que chaque mention du mot Aristote dans les écrits du romancier français était une référence mémorable à une rencontre avec une péripatéticienne, c'est-à-dire une prostituée.

Juliette Drouet, follement amoureuse de Victor Hugo (elle lui écrivit 20 000 lettres d'amour), fût une secrétaire littéraire méticuleuse et appliquée qui ne comprit jamais ses codes secrets...

dimanche, mai 07, 2006

Mes romans du XXe siècle: #2 Victor-Lévy Beaulieu

Voici mon 2e billet de ma série de 25 textes relatant ma relation avec 25 romans du XXe siècle; cette fois-ci avec un auteur québécois:

#2 La passion selon Victor-Lévy Beaulieu

J'ai rencontré Victor-Lévy Beaulieu avec la lecture de son essai « Entre la sainteté et le terrorisme » publié chez VLB Éditeur en 1984. Au fil des 492 pages de ce livre-essai, Victor-Lévy Beaulieu abordait sa grande quête littéraire où la démesure transpirait à grandes gouttes.

Sa prose et cette passion littéraire m'ont aspirées à l'époque vers l'univers de VLB. Je commençais une maîtrise en économétrie après mon Bacc. à l'UQAM mais tout cela ne m'inspirait guère. Je sortais d'une relation difficile...le contexte était bon et je cherchais un exutoire. Ce fût VLB. Quand j'écris aspiré, c'est bien aspiré. Après avoir lu « Entre la sainteté et le terrorisme » , j'ai abandonné ma scolarité et j'ai lu tous ces romans, essais, écrits en séquence, sans arrêt, presque jours et nuits, de la première oeuvre publiée (Mémoire d'Outre-tonneau) à la plus récente. Pendant trois mois, je n'ai rien fait d'autres que de me baigner dans l'univers de Victor-Lévy Beaulieu.

Et VLB en a écrit des livres. En 1985, il y en avait déjà une trentaine et maintenant plus de 60. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il dans une entrevue récente, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière.

Aujourd'hui on parle d'une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision comme Race de monde et L'Héritage, et des téléromans comme Montréal P.Q. et Bouscotte. En 40 ans, Victor-Lévy Beaulieu a construit une œuvre imposante, qui touche à tous les genres et qui est, tant par son imaginaire que par sa langue, l'une des plus importantes de notre littérature. Une œuvre profondément liée à l'évolution culturelle du Québec des dernières décennies.

Cette exploration passe d'abord et avant tout par le langage. Écrire pour lui, c'est aller plus loin que le langage courant, c'est construire. « Dans l'écriture, il y a la vision des choses, le regard, la critique. » Puis, citant Jean-Paul Sartre, il parle de l'écriture comme du matériau total. Dans une œuvre, tout est déterminé par l'écriture, par le langage. Ce n'est pas tant pour l'histoire qu'elle racontait, que pour le défi que représentait sa construction empruntée à celle de l'opéra et ses dialogues inspirés de l'alexandrin, que Montréal P.Q. demeure aujourd'hui encore, de toutes ses œuvres télévisuelles, la préférée de son auteur.

Mais mon plus grand plaisir de lecteur demeure ses essais littéraires. J'ai lu Hugo, Tolstoï, Kerouac, Melville et Ferron après avoir lu les essais de VLB sur ces auteurs. Les essais de VLB sont réellement originaux et reflète l'inassouvissable curiosité de l'écrivain, de son étonnante mémoire, de son ouverture et de son originalité. Lorsqu'il entreprend de visiter une œuvre, il lit tout, absolument tout, et plusieurs fois. Il ne prend aucune note ; l'écriture se fera de mémoire. Cette démarche s'inscrit en réaction à ces critiques qui opèrent « à partir de grilles d'analyse et qui écrivent comme s'ils n'avaient jamais eu de rapports véritables avec les auteurs dont ils parlent, comme s'ils faisaient de la vivisection ». Et la forme peut tout aussi bien mêler le récit autobiographique, la biographie, le journal intime, l'essai et la fiction. Réinvention du genre littéraire, selon Gaston Miron. Invention de la critique, selon Louis Hamelin. Pour les deux, les trois tomes de Monsieur Melville sont à ce titre exemplaires et tiennent du chef-d'œuvre. Je partage totalement leurs opinions!

Ma rencontre avec VLB a été une passion pour la passion. C'est un être de démesure malheureusement très peu lu (en moyenne 3 à 5 000 copies vendues par oeuvres - si on exclut les cycles de téléromans). J'ai fait bien sûr d'autres rencontres avec des auteurs québécois après VLB (Ferron, Poulin, Lalonde, Gabrielle Roy, Michel Tremblay, Francine Noël, Réjean Ducharme, etc) mais c'est le seul auteur québécois qui s'est imposé sans hésitation pour mon TOP 25.

Je lis beaucoup moins VLB maintenant, son retour à Trois Pistoles et son discours régionaliste m'interpellant peu. J'ai perdu la passion pour VLB. Elle est allée vers d'autres auteurs et j'ai bien peur que mon billet en souffre...Mais ses essais littéraires sont, selon moi, des oeuvres majeures qui mériteraient d'être inscrites dans n'importe quel TOP 25 de lecteurs occidentaux.