Qu'est-ce que tu lis actuellement? Voilà la question que l'on me pose de temps en temps depuis que je fais l'intéressant dans ce blogue. Et malgré mon déménagement et mon plan de travail (voir billet de la semaine dernière), ce n'est pas un auteur du XXe s.!
Non, le naturel reviens au galop...rien de révolutionnaire, comme vous voyez. Les habitués de ce blogue ne seront pas surpris de constaté ma fidélité envers les auteurs classiques et prendre connaissance de ma dernière lecture: l'Anthologie de la littérature latine de Jacques Grimard et René Morin.
Si j'ai été intéressé par cette anthologie, c'est qu'il est le fait de deux universitaires, éminents latinistes, qui ne répugnent pas pour autant à rendre abordables des textes qui très souvent ne nous sont parvenus que de façon parcellaire. Au premier chef, il y a l'intérêt sociologique et historique.
Le lecteur pourra y vérifier que la plupart de nos attitudes, de nos habitudes de vie et de pensée trouvent dans cette civilisation leur source (ce qui explique ma fascination pour les littéraires de l'antiquité...). Les extraits de Tite-Live, de César et de Cicéron, par exemple, satisferont à cet appétit. Mais il y a davantage. Chez Martial, Catulle, Ovide et Apulée, entre autres, on trouve des poèmes ou des récits qui n'ont rien d'académique. La survie des littératures grecque et latine, qui a longtemps dépendu de l'enseignement qu'on en faisait dans les lycées et collèges, n'aurait certes pas été transmise de la même manière il y a quelques décennies. Le ton y est leste, amusé, à l'occasion un tantinet grivois. J'oserais dire contemporain. Si j'étais un être de culture, je vérifierais les éditions qui avaient cours au temps de mes études universitaires, mais je suis comme vous un paresseux.
Je me contente donc du plaisir retenu. Il est réel et n'a pas besoin de la sanction des siècles pour trouver sa justification. Lire Sénèque ou Térence Ovide ou Suétone demande un effort, certes, mais qui se trouve récompensé.
«On voit donc que, dans sa forme comme dans sa signification, un texte antique, apparemment solide, voire indestructible puisqu'il a résisté aux assauts de siècles, aux dents des souris et à l'oubli des clercs, s'avère pourtant fort fragile : son estimation comme sa consommation intellectuelle et esthétique sont hautement problématiques.»
Cet extrait de la préface éclairante de Jacques Gaillard nous libère en quelque sorte, nous lecteurs, de cette obligation de nous extasier à laquelle on nous a contraints depuis toujours. Oui, le texte est antique, oui il a été lu par des milliers d'intellectuels et de lettrés, mais ce qui compte avant tout n'est-il pas qu'il nous rejoigne ? Quand Sénèque écrit à Marcia, dont le père a choisi de se suicider plutôt que d'accepter la persécution dont on le menace : «Tu es née mortelle, tu as enfanté des mortels : toi, tu n'es qu'un corps pourrissant, suppurant et plein de maladies, tu as conçu l'espoir que cette substance si débile aurait porté en elle du solide et de l'éternel ?», quand Sénèque propose cette lettre, n'est-ce pas à nous de 2006 qu'il s'adresse ? Il m'arrive de penser que des forces conservatrices -- religieuses, politiques ou autres -- nous ont longtemps empêchés de prendre connaissance de ces bouteilles lancées à la mer. Ce n'est certes pas cette anthologie qui me donnerait tort.
Anthologie de la littérature latine Édition de Jacques Gaillard et René Martin Gallimard, «Folio classique» Paris, 2005, 574 pages
Source: Gilles Archambault. Le Devoir
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