dimanche, décembre 18, 2005

Mon frère, la modernité et l'hypermodernité...

Ça ne sera pas une habitude mais après les billets, Ma soeur et Jules César et Fiston et le communisme primitif en voici un autre en lien cette fois-ci avec mon frère...

Il y a un petit bout, mes deux frères et moi allions de temps en temps prendre un verre au bar le Sergent-Recruteur (sur St-Laurent à Montréal). Nous discutions de toutes sortes de sujets vaguement existentialistes lorsqu'un jour j'émis un commentaire sur la modernité. Frérot me rappella à l'ordre à juste titre en me confirmant que la modernité était morte quelques part dans la première moitié du XXe siècle et que nous étions rentré depuis dans l'ère post-moderne.

Nous n'étions plus moderne. Nous étions post-moderne. Bon.

Mon frère finissant à l'époque son 3e cycle en sociologie, dans mon esprit le débat était clos. J'ai lu un peu là-dessus (le concept de post-modernité) et toute la littérature (ou à peu près) confirme les propos de mon docte frérot...cad (en résumé) qu'on pourrait définir la société actuelle sous l'angle de la post-modernité caractérisée par l'éclatement des références temporelles, le mélange des époques et de leurs styles. La bonne gestion et la recherche du bien-être remplacent la volonté de transformation collective de la société.

Le tout semblait sans appel et me gardait un goût (intellectuel) légèrement amère puisque peu en confirmité avec ma mentalité par trop optimiste.

Et puis, une autre lumière fût. En fouillant un peu là-dessus sur internet, je mis la main (ou plutôt les yeux...) il y a à peine un mois sur les développements récents du philosophe français Gilles Lipovetsky sur l'hypermodernité.

En gros, le professeur Lipovetsky tente de remplacer le concept de la postmodernité par l'hypermodernité, parce que la post-modernité ne décrit plus notre époque de façon satisfaisante selon lui. "Le postmodernisme sous-entend que le modernisme est révolu, alors que ce n'est pas le cas", explique le professeur. Avec l'hypermodernité, on démontre plutôt que les principes du modernisme – le marché, la science, la démocratie et les droits de l'homme – se sont radicalisés."

On serait donc peut-être dans l'ère de l'hypermodernité... Gilles Lipovetsky la définit comme cette période contemporaine où chaque aspect de l'existence présente un versant d'excès et une dualité.

Pour m'y retrouver, résumons (de façon modeste et téméraire) les deux premiers concepts et terminons par un extrait de Lipovetsky sur l'hypermodernité:

1) Modernité (en lien direct avec le siècle des Lumières en France)

-progrès par les lois du marché
-les vertus de la science
-la démocratie
-les droits de l'homme


2) Post-modernité

- profit en tout
- Suprématie de l'individu
- fragmentation de la société

3) et enfin l'Hypermodernité
(qui m'apparaît être un concept à la fois sociologique et philosophique)

Selon Lipovetsky:

" Le concept de postmodernité avait pour défaut de nous faire croire que nous étions sortis de la modernité, qu’une rupture réelle avait eu lieu. Or, nous ne pensons ni ne vivons en dehors de la modernité, nous ne faisons qu’en approfondir les enjeux les plus profonds, et c’est pourquoi la notion d’hypermodernité permet de mieux penser les nouveaux rapports des individus contemporains à l’égard d’autrui et d’eux-mêmes. Penser l’hypermodernité, c’est comprendre la relation nouvelle entretenue par chacun à l’égard de son statut social et de son temps, de plus en plus marquée par une logique consumériste, mais aussi à l’égard d’autrui et de soi. C’est aussi comprendre ce que nous réserve ce futur hypermoderne dont la complexité est à la fois de nous promettre le meilleur et de nous faire craindre le pire…

Le tout n'est pas sans danger et problèmes. Cette dualité peut provoquer une profonde anxiété. De là peut naître finalement un rapport crispé au présent, où triomphe le règne de l'émotivité angoissée, où l'effondrement des traditions est vécu sur le mode de l'inquiétude et non sur celui de la conquête de libertés. Mais l'hypermodernité est également une chance à saisir, celle d'une responsabilisation renouvelée du sujet. "

Donc un gros défi, mais contrairement à la post-modernité, au moins il semble qu'il y en ait un pour nous, simples mortels. Donc des pistes vers un avenir sociétal qui ne sera pas uniquement dans la pénombre...

Source: G. Lipovetsky (avec Sébastien Charles), Les temps hypermodernes , Paris, Grasset, 2004

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Étant cité par mon frérot, j'aimerais y aller d'un petit commentaire sur la nature des transformations que connaissent aujourd'hui les sociétés contemporaines. Si j'ai déjà défendu l'idée du passage à une société postmoderne (inspiré que je fus par Michel Freitag et sa critique de la postmodernité - Dialectique et société), je pose aujourd'hui un regard beaucoup plus prosaïque sur nos sociétés. En effet, en accord avec Lipovetsky, je doute que l'on puisse postuler l'idée d'une rupture radicale avec la modernité. L'approndissement des processus modernes sont le propre même des sociétés fondées sur la raison (comme les sociétés occidentales). Ainsi l'approfondissement des mécanismes politiques (démocratie et droits de l'homme), économiques (capitalisme et autres types d'échanges) et culturels (médias, individualisme, etc.) sont inscrits dans les sources mêmes de l'identité moderne.

Il me semble même que l'expression hypermoderne (partagée également par des sociologues britanniques comme Anthony Giddens ou Ulrick Beck) ne représente qu'une tendance lourde de la théorie sociale à vouloir conceptualiser les transformations sociales dans les termes du dépassement. Or, je pense aujourd'hui que l'on peut toujours considérer les sociétés occidentales contemporaines comme des sociétés modernes. Si elles ont peu à voir avec le projet civilisationnel européen du XIXème siècle (colonialisme fondé sur la supériorité raciale), elles demeurent néanmoins inscrite dans des mécanismes politiques, économiques et culurels dont les fondements sont à trouver dans les Lumières.

À cet égard, frérot a bien raison de nommer un de ses blogues "Montréal la moderne"

Frérot

Le lecteur de romans russes a dit...

Merci frérot, très intéressant et instructif comme commentaire.

On devrait reprendre notre "drinks" du Sergent-Recruteur pour se mettre à date dans nos vies et théories...

J'aimerais entre autres savoir si le mouvement post-moderne à encore beaucoup d'adeptes comme je le pensais initialement?

À la prochaine

Anonyme a dit...

Oui pour la bière! Et non pour le postmodernisme qui semble en perte de vitesse. Lipovetsky, autrefois un porte-étendard du postmodernisme français est aujourd'hui un "reconverti" de la modernité...Aux États-Unis, la mouvance postmoderne est encore importante et elle s'est institutionnalisée dans les universités dans ce qu'on appelle les cultural studies (composées principalement des études féministes et de certaines sciences sociales qui, comme l'anthropologie, se cherchent de nouvelles voies). Alors que dans les années 80 et 90, la gauche américaine était principalement postmoderne, aujourd'hui on assiste à l'émergence de nouvelles tendances qui, comme l'environnementalisme, dépasse le relativisme et le nihilisme postmoderne.