Alors quand, trop rarement, je rencontre un roman ou un essai consacré à une seule oeuvre d'art, c'est le bonheur total...Avouez, un livre pour une seule oeuvre : quel projet fou et merveilleux. Dès le début de ce blogue, j'avais écrit un billet sur le livre de Jean-Paul Kaufmann qui présentait pendant 300 pages l'histoire de "La Lutte avec l'ange" du peintre Delacroix que l'on retrouve aujourd'hui accrochée à St-Sulpice (Paris). J'avais adoré.
Pierre Assouline récidive à sa façon en s'appropriant une oeuvre du peintre français Dominique Ingres .
L'écrivain français, dans son récent livre "Le Portrait" donne vie au portrait, peint par Ingres en 1848, de Betty de Rothschild, somptueuse représentation du romantisme français du XIXe siècle par l'un de ses principaux artisans. Pierre Assouline utilise cette idée géniale de faire parler notre portrait, prétexte pour naviguer habilement dans cent cinquante ans d'histoire du vieux continent en traçant, en pointillé, la biographie d'une de ses plus illustres dynasties. "Vue de mon mur, la comédie humaine est d'une saveur inédite".
J'ai particulièrement apprécié dans ce livre, outre l’érudition toute fluide de l’auteur, l’évident plaisir de raconter dont témoigne l'auteur, ainsi que l’extraordinaire chaleur humaine qui émane de chacun des protagonistes de cette « biographie fantastique » en chair et en peinture.

Le Portrait s'ouvre sur une phrase d'une déchirante mélancolie : "Rien ne console parce que rien ne remplace".
Après sa mort en 1886, la baronne Betty de Rothschild connait une seconde existence, accrochée au mur. Elle revient alors sur sa vie, raconte l'histoire de sa famille, et chronique l'évolution du monde vue de son angle spécifique. Pierre Assouline nous fait voyager dans le temps et dans l'espace au gré des pérégrinations du tableau et des pensées de celle qu'il représente. Betty de Rothschild est une jolie Juive généreuse et déterminée, fortement imprégnée de la valeur de son rang - et des devoirs y afférant.
Elle observe avec humour et acuité les mondanités, relate ses rencontres avec Chopin ou Balzac par exemple.
Empreinte d'une douce mélancolie, la plume de Pierre Assouline est d'une élégance et d'une poésie rares. Les mots coulent avec une infinie délicatesse, l'ambiance est mélodieuse et vaporeuse. Le Portrait est en effet un roman de la mémoire ("Notre mémoire est pleine de petites Atlantides englouties, libre à nous de les ressusciter dans les larmes ou la douce évocation des bonheurs à jamais enfuis") et du spleen. Mais une mémoire diffuse, égarée et très sensorielle.
Si le bonheur est dans les mots et les arts, je vous le dis, il est actuellement tout proche de Pierre Assouline et de Mme de Rothschild...