dimanche, avril 22, 2007

Tolstoï pour sauver de l'inculture

Le lauréat du Booker Prize et montréalais Yann Martel (auteur d'Histoire de Pi) a décidé de prendre en main la culture littéraire du premier ministre canadien.

C'est que Yann Martel est très choqué de l'attitude de Stephen Harper, au cours de la cérémonie soulignant les 50 ans du Conseil des arts du Canada. Selon lui, M. Harper n'a que faire des arts: il semblait totalement désintéressé du sujet et plus occupé par ses papiers que par l'hommage aux artistes qui se déroulait ce jour-là devant lui.

Martel compte donc enrichir la bibliothèque de M. Harper aussi longtemps qu'il sera premier ministre du Canada, non pas pour l'éduquer, «ce serait arrogant», écrit l'auteur, mais pour lui suggérer des titres qui lui permettront d'occuper ses moments de tranquillité.

L'auteur a même créé un site Internet où il annoncera chaque deux semaines le livre qu'il fera parvenir au premier ministre afin de permettre à tous de le consulter. La Mort d'Ivan Ilitch, de Tolstoï, sera le premier.

On sait tous que Harper ne lira pas Tolstoï, mais le message est lancé. Un doigt d'ironie, deux soupirs d'exaspération. Voici David dressé contre le gros Goliath de l'inculture politicienne. Martel n'est pas tout seul, mais mon Dieu qu'ils ne sont pas assez nombreux. Un petit groupe d'écrivains et d'artistes appuient Yann Martel, on assiste peut-être à un début de mouvement.

Les électeurs votent pour des chefs sans bagages d'érudition, qui ne s'intéressent ni à la littérature, ni à l'histoire, ni à la sociologie, ni à l'aménagement, ni à l'art et ni à la Beauté! Et quoi de plus naturels, ces chefs sans bagages leur renvoient le message «Qui se soucie donc des joueurs de violon?», bouclant ainsi la boucle.

Courageux donc, voire téméraire, Yann Martel, qui se bat contre les valeurs de sa propre société, avec des armes littéraires apparemment dérisoires. Parce que le mal s'étend en nappe d'huile sur l'Amérique du Nord: vieille méfiance contre la culture et l'intellectualisme.

Un président totalement inculte ne serait pas élu en France. Phénomène pourtant courant de notre côté de la mare atlantique. Question d'héritage sociohistorique. Dommage! Il me semble que le besoin est encore plus criant ici.

En août dernier, le monde entier apprenait que George W. Bush avait lu L'Étranger d'Albert Camus. Stupeur et tremblements! Qui l'eût cru? Notre surprise témoignait de son illettrisme habituel.

Au Québec, par-delà les beaux discours de langue de bois, l'anti-intellectualisme n'est jamais tapi bien loin. L'étiquette «d'élitisme» peut vous marquer au fer rouge:

- Vous n'écoutez pas Tout le monde en parle? -- Élitiste!
- Vous vous méfiez de l'ADQ? -- Anti-populiste!
- Vous lisez, vous fréquentez le théâtre, l'opéra? -- Mais sur quelle planète vivez-vous? Pas sur la nôtre.

On comprendra que les premiers ministres québécois ou canadiens n'ont pas trop intérêt à afficher une culture, réelle ou inventée. Et pourquoi le feraient-ils? C'est tellement mal vu...

Alors, Yann Martel a bien raison de piquer Harper. Bataille perdue que celle du livre chargeant l'ignorance au Parlement? Peut-être. Mais c'est qu'il faut d'abord la gagner en nous, cette bataille-là.


Source: Adptation d'Odile Tremblay, Le Devoir et autres sites de nouvelles

3 commentaires:

La Franglaise a dit...

C'est quelque chose que je ressens, définitivement, ici au Québec.

Je ne regarde pas la télé (je n'en ai même pas), je passe mon temps à lire. Je suis contente que mon cercle social est majoritairement universitaire. J'évite le sujet avec ma famille.

Je n'ai aucun intérêt dans Loft Story? Snob. La plupart des films hollywoodiens m'ennuient? Élitiste!!! Je vais faire un doctorat? Prétentieuse! En anglais, en plus? Vendue, colonisée!!!

Le peu de climat intellectuel présent au Québec est étouffé par les idéaux social-démocrates. Après, on se demande pourquoi il y a un "exode des cerveaux".

Le lecteur de romans russes a dit...

Merci Franglaise pour ce commentaire.

Mais pour moi, ce phénomène est nord-américain et pas seulement québécois.

La Franglaise a dit...

Je pourrais pas dire pour l'Amérique du Nord... je ne connais que le Québec, vraiment.

Mais le nivellement par le bas, je l'avoue, est forcément nord-américain en général.