samedi, avril 14, 2007

Les Frères Karamazov

J'avais à peine 20 ans et je lisais déjà Dostoïevski, traînant son roman les Frères Karamazov partout avec moi, fier de posséder quelques choses que personne ne connaissait et semble-t-il, n'avait pas le goût de connaître. N'y comprenais pas grand-chose, ne savait lire que le sens commun du texte, la symbolique m'échappait: n'avais pas appris à plonger en eau profonde, n'étais pas doué pour l'apnée et cherchais mon souffle après deux paragraphes lus. Mais je m'obstinais. Tous les soirs en revenant de mon emploi d'étudiant à la Banque, dans mon premier appartement près de l'incinérateur, je mangeais en silence avec les miens, puis m'enfermait dans ma chambre. Je lisais à voix haute quelques phrases des Frères Karamazov, pour incruster en moi la signification des mots et je transcrivais les plus beaux passages dans mon cahier noir.

À partir de ce moment, j'ai préféré les livres ambitieux, du genre des Misérables de Victor Hugo, de Don Quichotte de Cervantès, Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas et d'Anna Karénine de Tolstoï. Au cours des derniers mois, il y a eu l'immense Les Bienveillantes de Jonathan Littell et le non moins impressionnant James Joyce de Victor-Lévy Beaulieu que je lis en ce moment.

J'aime entrer dans une histoire et y rester longtemps. Un gros livre fini par vous habiter. Se lève avec, mange avec, prend l'avion avec, s'endors avec. Quelques choses de bouleversant, puisqu'on ne peut sortir de pareils ouvrages comme on y est entré, sans qu'ils n'aient rien changé en soi.

Tandis qu'un court roman, ça se lit rapidement, ça ne crée en soi qu'un petit cercle de plaisir. Plein de personnages vous sollicitent sans modifier grand-chose à la qualité de ce que vous êtes.

Encore aujourd'hui lorsque la neige tombe drue à Montréal, les images des grands romans russes me viennent à la tête. Je regarde par la fenêtre de mon salon et j'imagine un cheval noir, un traîneau, le vent qui fabrique une tornade poudreuse, un homme debout, comme un pan de mur tellement il est emmitouflé de fourrures, un fouet à la main et, derrière lui, une meute de loups faméliques attendant le bon moment.

Même le temps n'arrive pas à effacer ses images pleine d'émotions de lectures libérantes.

1 commentaire:

La Franglaise a dit...

Si tu aimes les romans à grand déploiement, et que tu n'as pas encore lu de George Eliot... mais peut-être y as-tu déjà touché, que sais-je?