J'ai le goût d'écrire et de lire sur Paul Veyne, le plus grand historien vivant de l'antiquité (je l'affirme...rien de moins!) . Ça me détend que voulez-vous.
J'ai lu l'an dernier son éblouissant "L'empire gréco-romain" (Le Seuil) et on me dit le plus grand bien de son tout dernier: Quand notre monde est devenu chrétien (Éditions Albin Michel) que je veux me procurer.
Pour ceux qui ne prendrons pas le temps de lire ces deux magnifiques livres, je vous propose un interview avec Paul Veyne que j'ai copié pour vous sur Internet. Il aide à comprendre le rôle de l'historien ancien et comment on modèle l'histoire...
L'INTERVIEW
Pourquoi l'histoire et pourquoi l'histoire romaine ?
Simple accident individuel. Il arrive aux enfants des passions qui relèvent du pur hasard. Le conservateur du Musée archéologique de Nîmes a commencé à m'instruire au cours de mes visites assidues, car j'avais eu une émotion toute spéciale le jour où, petit écolier, j'avais trouvé un tesson d'amphore. Cétait la fascination d'une planète lointaine. Or, dans le milieu populaire où je suis né, Rome était la seule planète lointaine connue. J'ignorais l'existence des Mayas ou du Japon. J'appartiens à une génération qui s'est auto-éduquée puisqu'elle n'attendait plus rien de ses «vieux maîtres» en Sorbonne. Notre goût pour l'histoire était une résultante heureuse du marxisme car, chez un intellectuel communiste, elle devait prouver la justesse de la théorie. Accablé par l'injustice sociale autant que par le comportement peu reluisant de mes proches sous Vichy, j'ai été au PCF entre vingt et vingt-cinq ans, de 1951 à 1955.
Avant le Pain et le cirque, vous avez publié Comment on écrit l'histoire, un retentissant coup méthodologique. Pourquoi ?
Je l'ai écrit d'abord en réaction contre la superstition des sciences humaines qui avaient essaimé avec mai 1968, bien que j'avais été soixante-huitard moi-même, comme tous les professeurs non titularisés à la faculté d'Aix. Ayant étudié l'économie, je me suis vite aperçu que ses lois sont vaines face à la puissance des variables historiques En second lieu, j'étais fort préoccupé par ce que j'appelais l'intrigue, cette gymnastique de l'imagination nous permettant de revivre les faits historiques selon les possibilités humaines des choses. Sans quoi, on aboutit à des résultats absurdes : par exemple, que les Romains mettaient de la nourriture sur les tombes de leurs morts parce qu'ils croyaient qu'ils continuaient à vivre, alors qu'il suffit de songer que nous-mêmes mettons des fleurs sans pour autant penser que nos morts iront les renifler.
Qu'est-ce que vous frappe le plus dans la civilisation gréco-romaine ?
L'acceptation d'une culture étrangère. De tout temps, les civilisations se sont mélangées et je pense que c'est ce qu'elles ont fait de mieux. Nous devrions méditer le courage et l'audace des Romains qui se sont emparés, sans la moindre humiliation, des valeurs d'autrui, celles de la Grèce, de même que le Japon moderne s'est emparé des valeurs occidentales. Certes, les Romains sont persuadés qu'ils sont nés pour commander, au point que les Grecs se sont résignés à «collaborer». Mais en continuant à estimer qu'ils étaient supérieurs à ces rustres qui les commandaient. Il y a des peuples (les Grecs, nous et les Américains) qui se considèrent ainsi comme supérieurs aux autres.
Que reste-il de Rome ?
Il reste qu'il existe chez nous cette chose qu'on appelle la politique, qui est différente de la religion, qu'il y a des règles du jeu politique et que tout le monde doit s'y plier. Il aura fallu deux mille ans d'habituation à des règles, quelles qu'elles fussent, pour finir par admettre un jour que quand un parti gagne les élections, on ne le descend pas à coup de kalachnikov, mais on se soumet aux résultats du vote. Cela dit, nous n'avons pas une démocratie idéale, car la démocratie, telle que nous l'entendons, présuppose une large classe moyenne, chose du reste inconnue des sociétés pauvres de l'Antiquité.
Comment le christianisme s'est-il imposé ?
Cela s'est passé en deux temps au milieu de cette religion sans livre, sans tabous et modérée qu'était le paganisme, où les dieux sont de ce monde et quand quelqu'un avait déplu on en caillassait le temple. Voilà que les disciples du Christ inventent un best-seller d'un pathétique inégalé avec un dieu qui a des rapports personnels avec les hommes, qui leur en veut, les aime, leur pardonne, les châtie. C'est une religion qui prenait aux tripes, alors que les gens ne croyaient plus guère à Jupiter et à ses frasques. Puis, au début du IVe siècle, l'empereur Constantin se convertit en toute sincérité, et fait du christianisme non pas la religion de l'Etat, mais la religion personnelle de l'empereur, la religion du trône parce que seule une religion si moderne est digne du chef de l'Empire. On ne persécute pas encore les païens mais les hérétiques. Il y a un petit détail : seul au monde le christianisme est une religion qui est aussi une Eglise, c'est-à-dire une sorte de parti totalitaire, comme montrera la suite.
Pourquoi l'Empire chute-t-il ?
C'est comme dans un accident d'avion : beaucoup de petites causes et un hasard malheureux. L'Empire s'était rétabli avec Constantin, tout fonctionnait. Il n'y avait pas de décadence. Par malheur, cet empire immense a un trou énorme au milieu, la Méditerranée. Peu de pays ont eu, pour une telle surface (contenant une trentaine d'Etats actuels), une longueur de frontières si grande. Si bien qu'on pouvait défendre soit l'Italie, c'est-à-dire la frontière danubienne, soit la Gaule, c'est-à-dire la frontière rhénane, mais pas les deux à la fois. Une pure coïncidence a voulu qu'en 403 les Germains pénètrent en Gaule et les Goths d'Alaric en Italie. Les uns et les autres ne cherchaient d'ailleurs pas à renverser l'Empire, pour lequel ils avaient une admiration éperdue. De plus, l'empereur s'intéresse moins à défendre ses territoires qu'à conserver son trône. En ce jeu d'échecs, il faut avant tout sauver le roi. Aussi, la grande armée impériale est restée autour de la capitale.
L'histoirien rend-t-il non seulement plus intelligibles mais plus intelligentes les sociétés du passé ?
A partir des années 1920, on s'est aperçu qu'un primitif a une pensée différente mais aussi complexe que la nôtre. On croit qu'un primitif, un roi mérovingien, un Romain, c'est un objet simple, mais quand on commence à enlever les couches de l'oignon, notre regard perçoit une société qui était sophistiquée mais ne le savait pas. Enfin il y a, comme je l'appelle, l'allongement du questionnaire, faisant que plus la science historique avance, plus elle se pose des nouvelles questions et voit des subtilités qu'elle ne repérait pas avant.
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