vendredi, février 16, 2007

Homère pour sauver le monde

J'imagine cette scène devant mon écran d'ordinateur en ce petit matin: Il est 11 h 30, jeudi, dans un des quartiers les plus pauvres de la banlieue de Paris.

Dans un lycée (école secondaire), à Meaux (Seine-et-Marne), le cours de grec ancien commence. Choisi en option par 50 (sur 350) élèves de seconde de ce lycée qui accueille les plus défavorisés de France. Il serait fier mon Homère!!

Mais la question se pose; Comment et pourquoi un cours de grec ancien, dans un établissement aussi défavorisé? Le principe est simple: viser haut.

Le journal Le Monde décrit bien la scène "Augustin d'Humières reste debout, tournoyant la tête, pointant le bras de part et d'autre, tel un agent de la circulation."

Dans le brouhaha, les réponses fusent, étonnantes. Etymologie de "archevêque" ? "Archè, deux sens : vieux et pouvoir !" Des dérivés ? "Architecte, hiérarchie, monarchie !" Le sens du mot lithographie ? "De lithos, la pierre, et graphein, écrire : graver sur la pierre !" Dérivés de graphein ? "Biographie ! Géographie !"

Les copies les mots les plus compliqués, tels "polythéisme", écrits avec le "th" et le "y" là où il faut. On passe à la mythologie. Comment est née Athena ? demande le professeur. "Dans des conditions atroces, M'sieur !" Hurlements de rire. "Elle est sortie de la tête à Zeus, en armure !", lance un autre qui, caché derrière les pitreries, montre qu'il n'a rien oublié de l'histoire de la déesse.

Ces élèves défavorisés ont choisi le grec . Un miracle ? Plutôt une volonté. Celle de ce jeune professeur hors normes, Augustin d'Humières. Un agrégé de lettres classiques qui a décidé de croire que la banlieue n'est pas une fatalité. Que les élèves en difficulté doivent voir les choses en grand. Ils apprendront la langue d'Homère .

La méthode ? Un prosélytisme acharné. En 2003, le jeune professeur a créé l'association Mêtis qui compte une centaine de ses anciens élèves. Ceux-ci font du soutien scolaire, participent à des forums d'orientation pour les terminales du lycée... et tentent de convaincre les plus jeunes de se mettre aux langues anciennes.

Ce sont les anciens élèves de Jean-Vilar qui leur parlent. Comme Lauren Sigler, Dounya Salhi, Madly Bodin ou Mouna El Mokhtari, devenues respectivement avocate, étudiante en médecine, ou diplômé de sciences de l'information. Comme aussi Julien Martin, aujourd'hui professeur de lettres classiques au collège de Trilport, près de Meaux. Ou comme Nam-Tran Nguyen Cuu, de parents réfugiés politiques vietnamiens, interne de l'hôpital Georges-Pompidou.

Ils leur disent : "Nous sommes comme vous, et grâce aux langues anciennes, nous avons réussi à nous en sortir et vivre mieux que nos parents." Lauren : "En commençant le droit, j'avais compris grâce au grec les principes de la démocratie athénienne." Dounya : "En médecine, le grec m'a permis de mémoriser les mots compliqués." Madly : "En prépa, j'étais la seule à connaître la date de la mort de Socrate, grâce au grec. Tous les Parisiens étaient épatés, j'avais gagné !" Mouna : "Le latin et le grec m'ont apporté le goût de la culture, et donc de la conversation. Quand vous débarquez à Paris, c'est un plus énorme."

Augustin d'Humières, de son côté, ruse pour les prendre par les sentiments. Quand Zidane a créé une association contre la leucodystrophie, il a analysé le mot par le grec ("blanc" + "mauvais" + "nourrir" = mauvaise alimentation du sang en globules blancs). Succès assuré. Autre argument auquel sont sensibles les nombreux élèves d'origine maghrébine : le modèle que fut le monde gréco-romain pour les sociétés occidentales. "En latin et en grec, note le professeur, nous évoluons dans un monde méditerranéen, entre Alexandrie et Athènes, Rome et Carthage. Il ne déplaît pas aux élèves de constater qu'au-dessus, c'étaient des analphabètes, des barbares..."

Quand il est arrivé au lycée , en 1995, les cours de grec comptaient six élèves en seconde (aujourd'hui 50). D'année en année, les classes périclitaient et menaçaient de fermer. Les interventions dans les collèges ont amené de nouveaux publics. "Un résultat exceptionnel pour la population que nous accueillons", se félicite la directrice, Marie-Claude Couraut-Thémans.

Homère pour (encore et toujours) sauver le monde? Et pourquoi pas...

Source: Le Monde, 15 février 2007

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